Voyage à Rome pour la plus grande gloire des religions
Emmanuel Macron s’est rendu à Rome les 23 octobre 2022 pour assister, sur fond de guerre en Ukraine, à un Forum interreligieux pour la paix organisé par la communauté catholique italienne de Sant‘Egidio, l’un des canaux de la diplomatie de l’ombre du Vatican qualifié « d’ONU du Trastevere ».
Il y a prononcé le discours d’ouverture. Après des considérations sur la guerre en Ukraine et les menaces qui pèsent sur la paix mondiale, il a mis en avant le « message d’universalisme » des religions qui représente « le meilleur antidote contre le relativisme contemporain et la fracturation du monde ». Il a lancé à l’adresse des centaines de religieux, de toutes obédiences, et des laïcs croyants qui l’écoutaient : « J’ai besoin de vous et votre rôle est absolument essentiel », poursuivant « Il y a un projet humaniste possible. Et pour ce projet humaniste qui est à réinventer, les religions, les grandes familles philosophiques ont leur rôle à jouer ». Belle profession de foi pour le président de notre République laïque, qui ne reconnaît aucun culte.
Le lendemain, il a été reçu par le pape François au Vatican, pour la troisième fois depuis qu’il est à l’Élysée. Lors de cette audience, il a été question de politique internationale et des débats de société qui agitent la France, dont celui sur la fin de vie. Et ce, alors que le souverain pontife s’était élevé, vendredi 21 octobre, contre l’euthanasie lors d’un discours devant une délégation d’une quarantaine d’élus du Nord de la France emmenée par l’évêque de Cambrai, un mois après l’annonce par le président français du lancement d’une convention citoyenne sur cette question délicate pour aboutir à un éventuel changement de la loi. Par la voix du pape François, l’église catholique veille à mettre des élus de la République dans sa poche. Emmanuel Macron a affirmé face au pape, comme la veille à la tribune du sommet international « Le cri de la paix » : « La religion joue un rôle politique important », avant que Brigitte Macron, ayant rejoint son mari, n’assure au pontife : « Je prie pour vous, je prie pour vous tous les jours ».
Les déplacements à Rome d’Emmanuel Macron sont toujours l’occasion pour lui de flirter avec la transcendance. Il est d’ailleurs coutumier du fait, lui dont les prises de parole, depuis le discours des Bernardins devant les évêques de France en avril 2018, inquiètent les républicains et les laïques sincères.
A Rome, il a mis ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy, qui a réaffirmé il y a deux jours son soutien à Emmanuel Macron et plaide en faveur d’un rapprochement entre les Républicains et le parti Renaissance. Le discours de Rome prononcé en décembre 2007, à l’occasion de sa réception comme chanoine de Latran, par celui qui a écrit en 2004 La République, les religions, l’espérance est resté dans toutes les mémoires : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».
Il n’y a de toute évidence qu’une feuille de pâte à hostie entre les propos du président en exercice et ceux de son prédécesseur. Duquel des deux présidents, cette affirmation ? : « La République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite et surtout parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. » ? On peut légitimement hésiter…
Les présidents français, ceux qui acceptent la charge honorifique de chanoine de Latran comme les autres, devraient se rappeler en toutes circonstances qu’ils sont à la tête d’un État laïque, que leur élection les engage à promouvoir et défendre urbi et orbi ce principe constitutionnel et à prendre une saine distance avec les religions et les religieux. Ils devraient se rappeler que les lois et les résolutions sont votées par le Parlement, élu par tous les citoyens et non par tel ou tel groupe de pression religieux.
Il est vrai que ce n’est pas simple quand on s’incline devant un souverain pontife qui dénonce le « laïcisme » et qui, recevant une délégation française, a affirmé le 15 mars 2021 : « Quand la laïcité devient une religion, c’est comme un chien qui retourne à son vomi ». Une violence verbale digne des grands affrontements entre l’Église et l’État du début du siècle passé et qui nous rappelle que l’Église n’a pas renoncé à réinvestir la Cité !