Samuel Paty, 5 ans après – Discours Xavier Michel

« Bonsoir,

Je souhaiterais quant à moi dire quelques mots personnels du cours de Samuel Paty.

Comme l’a dit François, longtemps la laïcité fut pour nous une valeur acquise et partagée.

Et soudain, de l’affaire des caricatures danoises à janvier 2015, elle devint un pilier républicain à protéger avant que l’édifice ne s’effondre. Pour moi, l’enseignement de la liberté d’expression, de la laïcité devinrent des combats absolument essentiels à mener au sein de l’école. Il me fallait expliquer chaque année, sans relâche, les caricatures de Charlie Hebdo. La laïcité était devenue un combat oui, presque une guerre au nom de la défense de la République.

J’ai changé, et c’est grâce au cours de Samuel Paty.

Cette guerre, je crois toujours qu’il faut la mener de façon implacable contre les ennemis de la République, contre ceux qui tuent, qui assassinent, des admirateurs de rock, des couples en terrasse, une policière, des juifs et des professeurs. Ce combat, il faut le poursuivre sans relâche car la menace demeure. Mais aucun combat ne doit être mené contre nos élèves, y compris contre ceux qui détournent le regard d’une caricature.

En rendant hommage à Samuel Paty, j’ai fini par étudier son cours. Je ne parle pas ici des événements tragiques, des lâchetés institutionnelles, qui ont conduit à son assassinat, non, j’ai lu son cours lui-même, le cours d’un collègue avec lequel j’aurais pu discuter en buvant un café en salle des profs.   

« Situation de dilemme : être Charlie ou ne pas être Charlie ». Voilà l’intitulé du cours de Samuel Paty. Quand liberté d’expression et liberté de conscience, parfois, ne se superposent pas tout à fait.

Que faire de cet écart, de ce regard qui se détourne d’un dessin, non pour le dénigrer, non par irrespect pour les valeurs de notre République, mais parce qu’il vient heurter au plus profond de son âme. Que faire de nos élèves pris dans un conflit de loyauté moral, intime, entre leur respect pour leur pays, la France, et le respect pour leur religion ? Samuel Paty nous répond : reconnaître que le dilemme existe, accepter qu’on détourne le regard un instant, que l’on sorte momentanément pour mieux revenir en classe.

La solution de Samuel Paty porte un nom, elle s’appelle LAICITE. Pas celle que j’enseignais sans tout à fait la comprendre. La vraie, celle de 1905. Celle qui reconnaît la croyance et l’incroyance, pas plus l’une que l’autre. Cette laïcité qui n’exclut ni les uns ni les autres mais relie les croyants et les non-croyants dans un pacte républicain qui a permis d’enraciner ce régime dans notre pays. La laïcité qui doit permettre de dire merde à Dieu ou de le dessiner sans peur, comme de se rendre dans une synagogue ou une mosquée sans crainte.

Pour rendre hommage en classe à votre frère Mickaël, j’ai expliqué son cours. J’ai autorisé les élèves qui le souhaitaient à détourner le regard des trois caricatures que Samuel a montrées. Je leur en ai montré d’autres, y compris celles qui me choquent moi, alors que je lis Charlie depuis mes 18 ans. A ceux qui, devant une caricature, ont détourné le regard, j’ai demandé une seule chose : d’écouter. Et à force d’expliquer ces caricatures, de mettre du sens, j’ai vu des yeux étonnés et gênés se lever. Pas chez tous, pas franchement, pas à chaque fois, mais discrètement, de biais, par moment.

Samuel Paty m’a donné un cours, et je l’en remercie. Mes élèves et moi lui devons beaucoup. »

Discours de Xavier Michel, professeur de Lettres au lycée Camille-Claudel de Palaiseau
Hommage à Samuel Paty, 16 octobre 2025