Samuel Paty, 5 ans après – Discours Jean-Pierre Sakoun

« Madame la Maire, chère Delphine Bürkli,
Chère Mickaëlle Paty,
Cher Alain Jakubowicz,
Cher Alain Seksig,
Cher Basile Ader,
Chers professeurs et élèves du lycée Camille-Claudel,
Chers amis,

Mesdames et Messieurs,


Cinq années ont passé. Cinq années depuis qu’un professeur d’histoire, Samuel Paty, a été assassiné pour avoir fait son métier. Cinq années depuis qu’un enseignant a été décapité en France pour avoir transmis les valeurs de la République, pour avoir simplement voulu faire réfléchir ses élèves sur ce qu’est la liberté d’expression. Assassiné par un terroriste islamiste persuadé de gagner son paradis et de faire œuvre pieuse en lacérant le corps d’un homme de bien et la vie de tous les Français. Cinq années… et pourtant, le souvenir reste brûlant, la blessure reste vive, et le combat qu’il incarne reste devant nous.

Ce soir, dans cette mairie du 9ᵉ arrondissement de Paris, nous avons voulu rendre hommage à Samuel Paty, à sa mémoire, à son courage tranquille, à ce qu’il représentait de plus noble : l’enseignant comme figure de l’émancipation des êtres humains, comme tuteur permettant aux jeunes gens de se tenir debout. Et nous avons voulu, en même temps, nous souvenir pour agir. Car la mémoire, si elle ne devient pas vigilance, si elle ne se fait pas résistance, finit toujours par s’éteindre ou, au mieux, par n’être qu’un vain rappel.


Permettez-moi d’abord, au nom d’Unité Laïque, de remercier très chaleureusement Madame la Maire Delphine Bürkli. Merci, chère Delphine, de votre fidélité indéfectible à la cause de la laïcité, de la liberté et de l’école républicaine. Vous avez su, avec dignité et courage, accueillir cette commémoration comme on accueille un acte de résistance civique, comme vous l’aviez déjà fait l’année dernière.

Merci à toi, Mickaëlle Paty, pour ta présence, pour ta force, pour ce combat que tu mènes depuis cinq ans, non pas seulement pour la mémoire de ton frère, mais pour ce qu’il incarnait : l’honneur du métier d’enseigner, l’honneur de la République. Ton courage, ta dignité, ta détermination sont une leçon à elles seules.


Merci à Alain Jakubowicz, dont la parole forte et claire, ce soir encore, a su rappeler que la lutte contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre toutes les haines identitaires et religieuses, se confond avec le combat pour la République et pour la laïcité.


Merci à Alain Seksig, dont la longue fidélité à l’Éducation nationale et à la laïcité fait de lui une conscience de notre école.


Et merci à Basile Ader, qui représente ici le bâtonnier de Paris : le barreau, comme l’école, est un pilier de la République, et la défense du droit rejoint toujours la défense de la liberté de conscience, de la liberté d’expression et de l’émancipation.


Enfin, un immense merci aux élèves du lycée Camille-Claudel de Palaiseau et à leurs professeurs. Vous avez donné chair et émotion au texte d’Émilie Frèche, Le Professeur. Vous nous avez rappelé, par le théâtre, ce que signifie enseigner : être sur le fil entre la transmission et le risque, entre la confiance et le courage.

Samuel Paty n’était ni un militant ni un provocateur. Il n’était pas un héros de roman, ni un martyr choisi. Il était un professeur, un de ces milliers d’hommes et de femmes qui, chaque jour, font vivre la République dans les salles de classe. Un professeur qui croyait en la raison, en la discussion, en la liberté du jugement. Un professeur qui croyait que les images de Charlie Hebdo, comme les textes de Voltaire, appartiennent à notre patrimoine intellectuel commun et que les montrer, les expliquer, les discuter, c’est exercer la mission la plus sacrée de l’école : former des esprits libres.


Son assassin, lui, croyait que la foi devait dicter la loi. Et derrière lui, il y avait cette idéologie, l’islamisme, qui prétend soumettre la société tout entière à une norme religieuse. C’est cette idéologie, l’ennemie absolue de la laïcité, qui a tué Samuel Paty. Et c’est cette idéologie que nous devons, sans trembler, combattre de toutes nos forces.


Ce soir, au-delà du chagrin et du souvenir, il faut redire clairement ce qui est en jeu : C’est l’école de la République. C’est la formation du citoyen libre et égal. C’est la promesse d’émancipation qui fonde notre contrat social et construit le peuple français.


La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres. Elle est la condition de toutes les opinions.
Elle n’est pas une neutralité molle, ni un accommodement. Elle est une exigence, un cadre, une conquête : celle qui permet à chacun de penser librement et d’agir de même dans les limites de la loi, sans que la foi des uns devienne la loi de tous.


Or, depuis trop d’années, cette laïcité est attaquée de toutes parts. Par les islamistes, bien sûr, qui veulent recoloniser les consciences au nom d’une religion d’emprise. Mais aussi, et peut-être plus insidieusement, par les lâchetés, les renoncements et les compromissions de ceux qui, sous couvert d’ouverture, de « vivre-ensemble », de « respect des différences » et d’adjectifs farfelus accolés au mot laïcité ont sciemment désarmé la République.

Oui, il faut le dire sans détour : Le danger islamiste prospère aussi parce que le gauchisme culturel et l’islamogauchisme ont ouvert la voie. Parce qu’ils ont fait passer le relativisme pour la tolérance et la tolérance, principe nécessairement inégalitaire, pour la fraternité, principe nécessairement égalitaire, la déconstruction pour la pensée critique, le communautarisme pour la diversité. Parce qu’ils ont prétendu défendre les opprimés en flattant les identités fermées, en désignant la République comme coupable, et en présentant les principes universels comme des instruments d’oppression.


C’est une trahison intellectuelle et morale. Traduite dans les faits, elle signifie qu’un enseignant doit s’excuser d’enseigner, qu’un artiste doit s’excuser de créer, qu’un citoyen doit s’excuser d’être libre. C’est cette trahison que nous devons nommer, dénoncer et combattre. La République ne s’excuse pas d’être laïque. Elle n’a pas à négocier ses principes. Elle n’a pas à demander pardon d’exister.

Il est temps que la République redevienne offensive. Offensive dans ses mots : qu’on cesse de travestir la laïcité en simple « neutralité », la liberté d’expression en « provocation », ou l’universalisme en « domination ». Offensive dans ses actes : qu’on protège réellement les enseignants, qu’on soutienne les chefs d’établissement, qu’on rende aux premiers le rang symbolique et le respect absolu que nous leur devons, y compris en les payant correctement et en exigeant d’eux qu’ils redeviennent les hussards noirs de la République. L’école n’est pas un espace neutre. Elle est un lieu de transmission, de raison, de construction de l’esprit critique. Elle ne vise pas à refléter la société telle qu’elle est, mais à la transformer. Elle n’est pas un guichet de toutes les croyances : elle est le sanctuaire où l’on apprend à penser par soi-même. C’est pourquoi défendre l’école, c’est défendre la République tout entière. Et c’est pourquoi défendre Samuel Paty, c’est défendre la liberté de tous les professeurs, de tous les élèves, de tous les citoyens.


Nous devons à Samuel Paty de ne pas faiblir. De ne pas laisser son nom devenir une simple commémoration de plus dans le calendrier des deuils nationaux. Nous devons que son nom reste un appel à la vigilance, une boussole pour notre temps. Nous devons lui promettre – et nous le promettre à nous-mêmes – que l’école ne sera jamais un lieu de peur. Que la laïcité ne sera jamais négociable. Que la République ne s’effacera pas devant les fanatismes.

Quel organe de presse à part Charlie, ose encore présenter des caricatures anticléricales depuis le 7 janvier 2015 ? Quel professeur ose utiliser les éléments puisés pourtant dans Eduscol pour parler de caricatures de presse depuis le 16 octobre 2020 ? Ces reculs sont les marques de notre renoncement… Pourtant, si tous les médias français avaient publié les caricatures de Mahomet le 8 janvier 2015, si tous les professeurs de collège de France avaient refait le cours de Samuel Paty le 17 octobre 2020, tout serait réglé… C’est notre lâcheté qui nous condamne, pas la force de nos ennemis.


Je voudrais terminer en m’adressant aux élèves qui ont fait vivre ce soir « Le Professeur », le professeur Paty. C’est vous qui portez désormais cette responsabilité : celle de penser par vous-mêmes, de ne pas céder à l’intimidation, de préférer la raison à la croyance, la liberté au confort. Samuel Paty a donné sa vie pour que vous puissiez exercer votre esprit critique, pour que vous puissiez, demain, être des citoyens libres. N’oubliez jamais que la liberté se défend chaque jour, dans les mots, dans les gestes, dans le refus du renoncement.


Chers amis, ce soir, en quittant cette salle, cette maison commune, cette maison des citoyens, emportons avec nous cette certitude : nous ne sommes pas venus seulement pour commémorer un assassinat. Nous sommes venus pour affirmer une fidélité : à la République, à la raison, à la laïcité, à l’école, à Samuel Paty. Que son nom reste vivant dans nos écoles, dans nos cœurs, dans nos consciences. Et qu’il continue de nous rappeler, chaque jour, que la liberté ne se pleure pas, elle se défend.

Que vive Samuel Paty, que vive la laïcité garante de notre liberté. Que vive la République. »

Discours de Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité Laïque
Hommage à Samuel Paty, 16 octobre 2025