Chartes de la laïcité, boussoles efficaces en territoires perdus ou étouffe-républicain ?
Depuis plusieurs années fleurissent les chartes de la laïcité. Là où on les attendait et les réclamait, comme à l’Éducation Nationale, à la Caisse Nationale des Allocations Familiales, au Secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, en entreprise, etc.
Mais aussi dans les Régions et les collectivités. Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, dernièrement Auvergne-Rhône-Alpes, d’autres à venir certainement. La ville de Montpellier aussi dont il est vrai que le maire actuel, Michaël Delafosse, tient avec courage une ligne irréprochable dans le droit fil de notre idéal républicain indivisible, démocratique, laïque et social.
Ce levier mis en action doit permettre de lutter contre toutes les déviances locales, faites de visées électoralistes ou de malheureuses ignorances, qui font le jeu d’associations minoritaires, souvent camouflées, toujours hyperactives et hélas fréquemment subventionnées.
Lutter contre des associations islamistes, d’extrême-droite, sectaires est une œuvre honorable et de salubrité publique. Mais cette lutte menée sur le terrain marque cruellement les frontières de territoires abandonnés par l’État dans lesquels les accommodements locaux peuvent aussi jouer un rôle amplificateur. Que, par exemple, des écoles privées hors contrat, coraniques, se réclamant de sectes diverses, ultra-catholiques, cultivent un séparatisme exacerbé, comme l’a récemment dénoncé le CNAL, est un signe qui doit nous alerter et nous unir autour de l’école de la République. L’État, les acteurs locaux et les citoyens doivent en prendre conscience.
La législation, jungle luxuriante et complexe, dessert parfois les élus les plus courageux et si les régions souhaitent prendre part à cette juste lutte, il est à souhaiter qu’elles expriment un seul et même élan.
Car une question se pose immanquablement : ce fleurissement de chartes n’apportera-t-il pas de notes discordantes à une partition républicaine en recherche permanente et difficile d’harmonie ? La laïcité, si elle est une idée fondamentale de notre République, n’en est pas moins un ensemble de lois dont l’application exige courage politique plutôt que déclarations d’intentions.
Des revendications communautaristes, ou encore certaines velléités régionales autonomes, s’expriment bruyamment. Elles exigent une réponse indivisible.
Car qu’est-ce que l’unité de la loi ? Elle est depuis le 4 août 1789, date à laquelle les privilèges des ordres et provinces ont été abolis, le fondement du pacte politique et du contrat social sur lequel les Monarchiens, Girondins, Montagnards, Bonapartistes, etc. de l’Assemblée nationale ont posé les premières pierres de notre République en construction. C’est parce que tous les citoyens de notre territoire national sont soumis de manière indivisible à la loi qu’ils échappent à une essence quelconque définie par les revendications ethniques ou religieuses d’une communauté, d’une province ou d’une région.
La laïcité n’est pas la liberté religieuse. Elle est la liberté de conscience et échappe donc à toute récupération religieuse, politique, philosophique. Les acteurs associatifs et politiques revendiquant le beau geste du combat pour la laïcité s’engagent à un idéal, la République indivisible, démocratique, laïque et sociale. Le brouhaha des déclarations d’intentions – souvent intitulées « chartes », ce qui est
paradoxal lorsqu’on se souvient qu’au Moyen-Âge celles-ci avaient valeur de titre de privilège accordé par un seigneur – ne doit pas nous écarter du projet émancipateur de la citoyenneté de notre République française que résument parfaitement les mots de Lévinas, « une nation à laquelle on peut s’attacher par l’esprit et par le cœur aussi fermement que par des racines ». C’est ce que permet la laïcité. Cette adhésion exigeante à l’intérêt général au travers des droits et des devoirs que lui offre la citoyenneté.
Ces chartes, quand elles s’appliquent à construire cet idéal d’une seule et même voix, en dehors de toute autre revendication opportuniste que cette seule exigence vertueuse, serviront à se guider avec assurance. Dès qu’elles dévieront de ce chemin, elles favoriseront un mièvre vivre-ensemble, autre nom pour le communautarisme, et dans le pire des cas un séparatisme mortifère pour notre République.
Les élus de la République qui les votent doivent s’affranchir de toute autre considération étrangère à ce noble dessein, au risque sinon de le ternir d’intentions déguisées.