Charlie, Samuel Paty, Boualem Sansal. OUI MAIS…

Tribune signée Aline Girard, Secrétaire générale d’Unité Laïque.

« Plus on respecte les croyances, moins on respecte les hommes », Riss, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, 7 janvier 2025

Le 7 janvier 2025 nous commémorions les dix ans de l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo.

Le 20 octobre 2024 nous commémorions le quatrième anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste.

Depuis la mi-novembre 2024 nous sommes mobilisés pour la libération de Boualem Sansal, incarcéré arbitrairement par le gouvernement islamo-dictatorial d’Alger.

Quel est le point commun entre ces trois événements. C’est bien sûr le « OUI, MAIS… ».

OUI il faut condamner le massacre des dessinateurs de Charlie, MAIS ne l’ont-ils pas bien cherché ?

OUI il faut condamner l’assassinat du professeur Samuel Paty, MAIS ne l’a-t-il pas bien cherché ?

OUI il faut condamner l’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, MAIS ne l’a-t-il pas bien cherché ?

Les premiers sont accusés d’avoir manqué de respect envers les croyants et d’avoir insulté les musulmans en caricaturant le prophète. Des blasphémateurs.

Le deuxième, Samuel Paty, aurait lui aussi manqué de respect envers les croyants et insulté les musulmans en montrant à ses élèves une caricature du prophète. Un blasphémateur et un islamophobe.

On aimerait bien les défendre, mais ils sont allés trop loin avec la religion. On ne peut pas rire de tout. Il faut respecter les croyances et les croyants. Alors, OUI MAIS…

Pourquoi la critique des religions est-elle aujourd’hui devenue impensable, que ce soit à travers la caricature ou de tout autre manière ? Pourquoi la critique d’un dogme est-elle considérée comme une insulte à l’égard des croyants ? Pourquoi est-il tellement compliqué, pour la plupart, quand il s’agit de Charlie ou de Samuel Paty, de défendre sans ambiguïté la liberté de conscience et la liberté d’expression ? Pourquoi est-ce particulièrement compliqué pour la gauche ? La France a pourtant su jadis faire entendre sa voix puissante, laïque, libre et universaliste, inspirée par la philosophie des Lumières et la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, assurant par la loi la liberté de conscience. Mais l’heure n’est plus à l’affirmation d’une ferme pensée politique et des principes de la République. Elle n’est plus non plus à la raison, ni même souvent à la rationalité. Elle est au respect des identités et des affects, des communautés et des ressentis et à la promotion de la liberté religieuse et de la coexistence interconfessionnelle, source d’harmonie. Comme disait Charb, l’heure est au « respect érigé en principe », en particulier au sein de la « génération offensée » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Caroline Fourest.

Le troisième, Boualem Sansal est accusé d’attaquer sans retenue le gouvernement algérien, d’insulter son pays et ses compatriotes et de tenir des propos antimusulmans. Un agent de la France et un suppôt d’Israël, un traître à son pays et à sa religion.

On aimerait bien le défendre, mais il est allé trop loin avec ses provocations politiques et sa critique virulente de l’islamisme. On ne peut pas provoquer impunément. Et puis il est athée et libre penseur. Alors, OUI MAIS…

Pourquoi le gouvernement français et les intellectuels de notre pays n’engagent-ils pas une vigoureuse action diplomatique et une puissante opération d’influence pour obtenir la libération de notre courageux compatriote accusé de « délit d’opinion », qui affirme sans cesse son attachement aux principes et aux valeurs de la République et à la liberté de pensée et d’expression ? Pourquoi est-ce particulièrement compliqué pour la gauche ? La France a pourtant su jadis défendre avec passion les écrivains victimes des dictatures, emprisonnés ou menacés en Espagne franquiste, en Amérique du Sud ou en Union soviétique. Souvenons-nous des pétitions des intellectuels engagés qui ont rythmé la 4è et les premières décennies de la 5è République.  La mobilisation d’un nombre insuffisant d’intellectuels et d’hommes politiques pour demander la libération de Boualem Sansal ne rend que plus bruyante l’abstention de beaucoup d’autres. Certains osent même utiliser contre lui – et contre son compatriote Kamel Daoud visé par les mêmes chefs d’accusation – l’argument de l’extrême-droite : « Il alimente un discours d’extrême droite fait d’hostilité à l’égard des immigrés et des musulmans, il reprend tous les thèmes d’Éric Zemmour. » (Nedjib Sidi Moussa dans l’émission C Politique du 24 novembre). D’aucuns l’accusent de « réhabilitation coloniale » et pour Benjamin Stora « Il ne faut pas trop heurter la sensibilité encore à vif des peuples… Enfin, des Algériens. » La frilosité du gouvernement et de tant d’intellectuels français, pour ne pas dire leur lâcheté, nous déshonorent. « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude », affirmait Albert Camus en1951.

Charlie, Samuel Paty, Boualem Sansal. Pourquoi ces indignes OUI MAIS ? Leur combat pour la liberté d’expression, pour la liberté de conscience, pour l’émancipation laïque et universaliste, leur courage à dénoncer, leur honnêteté intellectuelle et morale, leur désir d’un monde meilleur se heurtent à des murs qui nous encerclent : celui de la « prolifération du croire » – selon l’expression de Richard Descoings – et du carcan des subjectivités, celui de l’impératif de la bienveillance et du respect, celui du Pas de vague. Mais ils se fracassent aussi contre plusieurs murailles invisibles : celle de l’islam dont les interdits religieux, moraux, culturels, les revendications cultuelles, la pression politique et sociale enserrent et entravent notre société laïque, repliée sur une position défensive, déboussolée également par l’action violente de groupes politiques complices qui font du chantage à « l’islamophobie ». Celle des états musulmans autocratiques et théocratiques qui exercent des pressions sur les états démocratiques et sur les états politiquement et économiquement faibles pour avancer leurs pions, sur fond de naïveté occidentale et de culpabilité post-coloniale et avec les financements des pétro-monarchies.

Sortir du OUI MAIS ? Le sursaut doit être politique et citoyen et la mobilisation générale. Faisons en sorte que nos concitoyens trouvent plus d’avantages personnels et collectifs à l’universalisme qu’à l’identitarisme, à la liberté de conscience et d’expression qu’aux dogmatismes religieux, à la véritable égalité d’individus libres et autonomes volontairement unis dans une communauté de destin qu’à la guerre des droits, stérile et violente, entre les groupes religieux, ethniques ou sexuels, à la fraternité qu’à la bienveillance individuelle. Il faut que nous sortions de la confusion de la pensée, du déni de la réalité et surtout de la peur, que nous reprenions courage et retrouvions notre vigueur politique et intellectuelle. Soyons convaincus que c’est possible, mais la tâche est immense et urgente.

Aline Girard
Secrétaire Générale d’Unité Laïque