Soirée de soutien à Boualem Sansal

Ce vendredi 14 mars s’est tenue à Strasbourg une grande soirée de soutien à l’écrivain Boualem SANSAL, arbitrairement détenu en Algérie.

À l’initiative de la LICRA et du magazine Marianne, une soirée de soutien à Boualem Sansal s’est tenue le 14 mars dernier à Strasbourg
Abraham Bengio, président de la commission culture de la LICRA, et Ève Szeftel, directrice de la rédaction de Marianne, ont présenté les nombreux intervenants venus parler de l’œuvre de Boualem Sansal, apporter leurs témoignages de lecteurs, d’amis, et pour certains de compagnons d’infortune. Des membres d’Unité Laïque étaient dans la salle pour participer à cet événement.

Arnaud Benedetti, politologue, directeur de la Revue Politique et Parlementaire, a rappelé les épisodes et rebondissements de « l’affaire Sansal » : son arrestation brutale à sa descente d’avion à l’aéroport d’Alger, sa mise au secret, le refus d’accorder un visa à son avocat français, maître François Zimeray, en dépit des accords franco-algériens sur la défense des citoyens français, les difficultés à obtenir toute information sur sa santé et sur le cours de l’instruction judiciaire. Très vite, la presse officielle algérienne s’est fendue d’une déclaration selon laquelle Boualem Sansal aurait été arrêté sur la base de l’article 87-bis du Code pénal algérien. Les premiers alinéas de cet article datent de 1995, en pleine décennie noire ; ils étaient censés apporter une réponse à tout acte terroriste ou subversif « visant la sûreté de l’État, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions. ».

Ont été ajoutées en 2019, après la mise au pas du puissant mouvement populaire du « Hirak », les précisions suivantes : est considéré comme subversif tout acte « visant à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » et « portant atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’incitant à le faire, par quelque moyen que ce soit ». C’est ce dont est accusé un écrivain, un poète de 80 ans, malade de surcroît dont la seule arme est sa plume, l’incandescence de ses mots et la puissance de ses images poétiques.
Comme si cela ne suffisait pas et pour pousser le ridicule à son comble, le procureur de la république algérienne en charge du dossier vient de notifier à Boualem Sansal un nouveau chef d’inculpation, celui « d’intelligence avec une puissance étrangère » et ce, pour avoir dîné la veille de son départ pour l’Algérie avec un ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, présent également à Strasbourg.
Tout cela relèverait de la farce si la peine (maximale) encourue n’était la condamnation à mort et si la santé de Boualem Sansal n’était si fragile.
Les relations tendues entre nos deux pays peuvent-elles justifier qu’un régime failli prenne en otage un vieil homme et use de moyens ignobles pour peser sur les décisions françaises en jouant sur les opinions publiques tant algériennes que françaises.

À propos des aléas des relations entre la France et l’Algérie au cours des décennies écoulées,
Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et qui assume sa sensibilité de gauche, a fait une intervention très vigoureuse. Afin de préserver le pouvoir d’une nomenklatura issue du mouvement de libération, le régime refuse, dit-il, la pluralité politique, l’expression alternative, il traque et bâillonne ses opposants, étouffe la société civile algérienne au nom d’un nationalisme ethno-religieux de plus en plus étriqué. Il désespère une jeunesse en quête de plus de liberté comme en ont témoigné le mouvement du « Hirak » et la fuite éperdue vers l’Europe de jeunes algériens sans cesse plus nombreux. Ce raidissement se traduit par des discours hostiles à l’égard de la France, par un ressentiment et une aigreur qui se sont amplifiés dans les médias officiels après l’attribution du prix Goncourt à Kamel Daoud, perçue comme une provocation.
Il a eu cette phrase cinglante : « L’Algérie se caricature en Corée du Nord du Maghreb ».

Chawki Benzehra et Ghilas Aïnouche ont témoigné de la férocité des services algériens envers les opposants au régime algérien . Tous deux sont réfugiés en France et vivent sous protection policière. Ghilas Aïnouche, caricaturiste de talent, et auteurs de dessins humoristiques projetés sur écran en cours de réunion, a été condamné par contumace à 10 ans de prison, lui-aussi sur la base d’article 87-bis, pour « atteinte au président de la République » et « apologie du terrorisme » à travers ses caricatures.
Chawki Benzehra, jeune traducteur, blogueur, a obtenu l’asile politique en France ; lanceur d’alerte, il a permis l’interpellation de plusieurs influenceurs algériens poursuivis pour de multiples appels à la violence sur les réseaux sociaux. Il explique le poids de la désinformation des autorités officielles. Dans un pays où, dit-il, l’antisémitisme paré des oripeaux de l’anti-sionisme est la pierre angulaire d’un prétendu ciment islamo-national, Boualem Sansal est diabolisé en tant que laïque et parce qu’il a eu l’outrecuidance de se rendre en Israël en 2011 et de lancer en 2012 à Strasbourg, aux côtés de l’écrivain israélien David Grossman, un appel pour la paix. Cet épisode a d’ailleurs été rappelé par Catherine Trautmann, ancienne ministre de la Culture et ancienne maire de Strasbourg.

Ces prises de position ne sont pas sans lien avec l’insistance du président Tebboune à qualifier les soutiens de Boualem Sansal en France de « macronitosionistes » et à délégitimer et écarter son avocat français maître Zimeray parce que juif. Boualem Sansal a été intimidé dans sa chambre à l’hôpital d’Alger par des individus lui demandant de licencier son conseil français au profit d’un avocat « non juif », condition pour que ce dernier obtienne un visa.

À propos de cette obsession, Didier Leschi rappelle que le Code de la nationalité algérien de 1970, stipule que si « la nationalité algérienne est revendiquée à titre de nationalité d’origine, elle doit être prouvée par la filiation découlant de deux ascendants en ligne paternelle ou maternelle, nés en Algérie et y ayant joui du statut musulman ». Un moyen d’écarter les « colons » et surtout les juifs installés sur la terre d’Algérie depuis des siècles.

Rachel Binhas, journaliste à Marianne, qui, dès l’arrestation de Boualem Sansal le 16 novembre 2024, a alerté l’opinion sur le sort réservé à l’écrivain, vient appuyer ces propos. En Algérie, la pluralité et les liberté d’expression, de conscience et de culte sont bafouées. Le pouvoir algérien, non content d’embastiller les opposants politiques, les écrivains, les caricaturistes a également fait condamner le vice-président de l’Église protestante d’Algérie, le pasteur Youssef Ourhmane, pour avoir supervisé, en mars 2023 , une retraite spirituelle sur un site qui abritait une chapelle fermée par les autorités.

Kamel Daoud, au travers d’un message vidéo, analyse les trois aspects de « l’affaire Sansal ».
Une affaire politique franco-française : en effet, le soutien à cet écrivain est loin d’être unanime. La gauche de l’échiquier politique n’a pas voté à l’Assemblée Nationale une motion de soutien à Boualem Sansal, refusant de « stigmatiser », selon ses propres termes, les Français d’origine algérienne et les Algériens vivant en France, les renvoyant ainsi à leurs attaches familiales, ou à une présumée identité, leur déniant la capacité de se forger une opinion au vu des faits.
Une affaire franco-algérienne : Alger fait payer à Boualem Sansal son amour de la France, de la langue française et sa liberté de ton à l’égard du régime algérien. Alger fait payer à Paris ses demandes de plus en plus fermes de coopérer à l’exécution des OQTF délivrées à l’encontre de ressortissants algériens. À cette crise s’ajoute le ressentiment après la reconnaissance de l’autorité marocaine sur le Sahara occidental par le président Macron.
Une affaire internationale et universelle : en janvier 2025, le parlement européen a voté dans sa grande majorité une résolution demandant sa libération immédiate et inconditionnelle ainsi que celles de tous « les autres militants, prisonniers politiques, journalistes, défenseurs des droits de l’homme et autres personnes détenues ou condamnées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion et d’expression ». C’est ce qu’est venu défendre Fabienne Keller, député européenne et ancienne maire de Strasbourg.
De par le monde, des écrivains, artistes et intellectuels ont rejoint les soutiens de Boualem Sansal, notamment des écrivains sud-américains, et ce, à l’initiative de Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’éducation nationale d’Emmanuel Macron.
Enfin sur le plan du soutien aux valeurs qui fondent nos démocraties, la défense absolue de la culture et de la littérature qui sont la marque de toute civilisation humaine, commande que l’on exige sans aucun bémol, ni objection, la libération d’un écrivain incarcéré pour ses mots. Ce qui se joue là, c’est le combat intemporel et tragique d’un héros moderne contre l’arbitraire et la tyrannie. Ce héros est un vieil homme malade et sans défense, mis au secret et privé de soins et des siens.

Le temps presse, la diplomatie des petits pas a échoué, la discrétion et la prudence sont révolues, seules la fermeté assumée de nos dirigeants, la mobilisation vigoureuse de ses soutiens en France et à l’international pourront peser pour obtenir qu’Alger libère enfin Boualem Sansal. Après avoir exploré toutes les voies légales et diplomatiques, maître Zimeray s’est résolu à saisir Le Haut- Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et toutes les grandes instances multilatérales desquelles l’Algérie fait partie (l’Union africaine, la Commission africaine des droits de l’homme…) afin de faire condamner l’Algérie pour détention arbitraire.

Compte rendu de la soirée de soutien à Boualem Sansal – LICRA

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