La France doit choisir entre son héritage laïque et une société fragmentée – Le Point

TRIBUNE. L’islamisme s’infiltre dans les institutions. La République, affaiblie par ses divisions, semble avoir perdu le courage de défendre ses principes. Par Jean-Pierre Sakoun.

« Dix ans après les massacres du 13 Novembre, cinq ans après l’assassinat de Samuel Paty, la France paraît comme hébétée. Comme si la sidération s’était muée en lassitude, puis en renoncement. L’islamisme – a-t-il été un seul jour combattu frontalement ? – se répand désormais dans les replis du quotidien et des institutions. Il n’impose plus la peur par la seule violence ; il avance sous les dehors de la respectabilité, de la revendication minoritaire, du « droit à la différence », voire, paradoxes accablants, de la lutte syndicale ou même de la défense de la liberté des femmes. Et face à lui, la République, affaiblie par ses divisions et paralysée par la crainte d’être accusée de discrimination, d’islamophobie, cette baguette magique des mollahs, recule pas à pas.

Il y a dix ans, les terroristes du Bataclan criaient « Allahou akbar » en assassinant des jeunes gens venus écouter de la musique. Leurs acolytes attaquaient les terrasses parisiennes. Il y a dix ans, ils assassinaient Charlie et massacraient les Juifs de l’Hyper Cacher. Leur haine visait la joie, la liberté, la mixité, la vie même. Elle visait la France telle qu’elle se vit. Il y a cinq ans, Samuel Paty était décapité pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet, dans un cours sur la liberté d’expression. Sa mort devait nous rappeler que la République se fonde sur le droit de critiquer et de caricaturer les religions, toutes les religions, sans menace ni terreur.

Mais l’émotion et les résolutions suscitées par ces actes ignobles ont fait long feu. Dans nombre d’établissements scolaires, les enseignants s’autocensurent. Dans les universités, les colloques « décoloniaux » ou « intersectionnels » s’en prennent à la laïcité, qu’ils accusent d’islamophobie, quand ils ne hurlent pas leur soutien au Hamas et à son massacre du 7 octobre 2023, éventrant et violant les femmes, tuant les enfants. Dans ce qui reste de la gauche démocratique, seuls certains élus courageux et jetés en pâture sur les réseaux sociaux osent dénoncer l’islamisme. Les autres ont trop peur de « stigmatiser », le cerveau retourné par la victimisation, la meilleure et la plus ancienne arme des Frères musulmans. Au sein même de la société, le voile est devenu le signe tranquille d’une régression imposée comme liberté. Qui se révolte contre son joug n’est rien moins qu’un fasciste. Lorsqu’on sait les liens organiques historiques entre les Frères musulmans et le nazisme, c’est sidérant…

La République, au lieu de transmettre la fierté de ses principes et l’idéal de l’émancipation, enseigne désormais la prudence. Au lieu de protéger la liberté de conscience, elle ménage la susceptibilité religieuse. On redoute le scandale plus qu’on ne redoute la servitude.

La gauche radicale, alliée de l’islamisme

L’islamisme ne se contente plus de prêcher la séparation : il a trouvé des alliés dans la gauche radicale, qui a substitué la logique victimaire à l’universalisme. De « l’islamophobie » brandie comme arme politique à la cause palestinienne détournée en haine d’Israël et des Juifs, les discours convergent. Le philosophe Pascal Bruckner avait prévenu : l’islamogauchisme n’est pas une alliance idéologique mais une abdication morale. Elle consiste à excuser les fanatiques au nom de leur statut d’opprimés, à justifier la haine au nom de la souffrance, à transformer les bourreaux en victimes.

On ne parle plus des crimes islamistes ; on accuse ceux qui les dénoncent. On ne condamne plus les prêcheurs de haine ; on traque ceux qui osent parler d’islamisme. L’affaire Enthoven a marqué une césure. Quand un intellectuel peut qualifier LFI de « passionnément antisémite » sans que la justice n’y voie injure, c’est que la République reconnaît, implicitement, que la haine des Juifs a réinvesti la vie politique sous des oripeaux progressistes.

La peur est devenue notre horizon commun. Peur de nommer, peur de déplaire, peur de diviser. On s’enferme dans le déni ou la diversion. Les grandes institutions, à commencer par l’Éducation nationale, reculent devant les intimidations. La police protège les synagogues et les écoles juives dans une atmosphère d’état de siège permanent. Les tribunaux s’émeuvent davantage des « blessures symboliques » que des appels au meurtre.

Les autorités publiques, elles, paraissent épuisées. Entre les appels incantatoires à la « tolérance », les campagnes contre le « racisme systémique » et les postures de matamore, le message républicain s’est dilué. Or, l’islamisme prospère précisément dans les zones de faiblesse : il occupe l’espace laissé vide par la honte et la haine de soi.

La laïcité, principe fondateur, n’est plus portée comme un idéal d’émancipation, mais comme une gêne administrative. Les responsables politiques oscillent entre la complaisance et la crainte. Et quand des figures du monde musulman libéral, comme Kamel Daoud ou Boualem Sansal, rappellent le prix de la liberté, elles sont accusées de « traîtrise » ou de « néocolonialisme », voire, bien sûr, d’appartenir à l’extrême droite.

L’antisémitisme est redevenu le ciment des haines, le point de jonction entre l’islamisme et la gauche radicale. Il suffit d’écouter certaines manifestations propalestiniennes, où les slogans contre Israël tournent vite à la menace contre les Juifs, pour mesurer l’ampleur du phénomène, grâce au mot magique, l’antisionisme, qui permet de haïr les Juifs en toute impunité.

La France regarde ailleurs. Elle feint de ne pas voir que les attentats islamistes d’hier, l’antisémitisme d’aujourd’hui et la haine de la République forment un même système idéologique : un rejet viscéral de la liberté et de la raison, de l’égalité entre les sexes, de la libre pensée, de l’esprit critique. C’est au nom de cette liberté honnie que les frères Kouachi ont assassiné les dessinateurs de Charlie Hebdo, que les assassins de Samuel Paty, Dominique Bernard et de tant d’autres ont frappé, que les terroristes du 13 Novembre ont tiré. Dix ans plus tard, leur monstrueux héritage n’est pas mort : il s’est simplement déguisé.

La République ne peut pas se contenter de pleurer ses martyrs à chaque commémoration. Elle doit réapprendre à dire non : non au relativisme, non à la peur, non à l’intimidation religieuse. Ce non n’est pas un refus des Français de confession musulmane qui vivent paisiblement leur foi dans le cadre de la loi ; il est un refus des fanatiques et de leurs relais politiques qui veulent imposer leur loi à la République.

Retrouver le courage des Lumières

Il y a urgence à retrouver le courage des Lumières : celui de dénoncer lucidement l’islamisme, de lutter contre le retour sanglant de l’interdiction du blasphème, de penser librement, de se moquer des puissants et des dogmes, de défendre la vérité contre le mensonge. C’est un devoir de lucidité. « La tolérance devient un crime lorsqu’elle s’applique au mal », écrivait Thomas Mann. La République, aujourd’hui, tolère trop le mal, par lassitude ou par peur de paraître injuste.

Que reste-t-il de nos sursauts ? La France doit choisir. Soit elle assume pleinement son héritage laïque et universaliste, soit elle se résigne à devenir une société fragmentée, soumise à la peur et à la censure.

La République a le visage de ces femmes qui refusent de se voiler, de ces enseignants qui continuent à parler de liberté d’expression, de ces écrivains qui risquent leur vie pour défendre la raison. C’est ce visage qu’il faut sauver et l’urgence est d’autant plus pressante que Marine Le Pen veut nous persuader que ce sont ses traits qui émergent de plus en plus derrière ceux de Marianne.

L’islamisme n’assiège pas la République : il s’y répand, comme un lent anesthésiant, nourri par la lâcheté des uns et la complicité des autres. Il ne la fera pas tomber d’un coup de force, mais d’un consentement honteux. Et si nous n’y prenons garde, la France cessera un jour d’être ce qu’elle fut : non pas un territoire, mais une promesse faite à la liberté. »

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