Français, encore un effort pour rester laïques !
Renée Fregosi, Français, encore un effort pour rester laïques ! L’Harmattan, 2019, 198 p., 21€
Docteur en philosophie et en science politique, enseignante à l’Université Paris 3, longtemps directrice du département international du PS, Renée Fregosi propose un panorama qui balaie le processus d’édification de la laïcité française mais aussi une approche géopolitique qui permet notamment de replacer la question de l’islam dans un contexte plus général que sa traditionnelle lecture à l’aune des enjeux hexagonaux. Déjà développées dans son précédent livre (Les Nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates, éd. du Moment, cf. Humanisme n° 311, mai 2016), les problématiques de basculement vers des régimes autoritaires, « démocratures » et autres populismes justicialistes, sont ici convoquées pour appréhender la manière dont les courants religieux conservateurs accompagnent ce mouvement sur tous les continents. La « police des mœurs », la « régression puritaine » constituent en effet des caractéristiques dont nous constatons la propagation tant en Europe de l’Est qu’en Amérique latine, au Moyen-Orient comme en Afrique. Et l’Europe de l’Ouest, longtemps à l’écart de telles tendances, est désormais frappée à son tour de plein fouet par ces phénomènes.
Relativisme uniformisant
Renée Fregosi creuse par ailleurs utilement le lien entre laïcité et démocratie en pointant la multiplication de phénomènes sociaux entrainant le délitement de l’intérêt général. Elle cite ainsi « l’abandon de territoires par les pouvoirs publics à des formes substitutives –communautaires et mafieuses- de solidarités et de secours, le développement de zones de non-droit, le renoncement à une intégration culturelle universaliste par des moyens différenciés adaptés, le renoncement à une redistribution continue du capital vers le travail et à un encadrement républicain de l’ascension sociale ». Dans un tel contexte social, la laïcité est néanmoins fréquemment invoquée pour tenter de résoudre des problèmes qui ne relèvent pas de son champ. Ses adversaires – qui sont souvent des tenants du modèle communautariste anglo-saxon – sont dès lors trop heureux de pouvoir en dénoncer un recours abusif ou alors son impuissance et son inadaptation. L’auteur ajoute : « Comme l’avait pressenti Tocqueville, se manifestent également des effets pervers (égoïsme, repli identitaire, intolérance à l’Autre, consumérisme frénétique, perte de la transmission) de l’individualisme, base de la démocratie moderne qui, sans associations et actions collectives compensatrices, atomise le corps social et affaiblit d’autant le courage personnel de la prise de décision ». Mais, explique Renée Fregosi, « les remèdes proposés aujourd’hui sont sans doute pires que le mal : les visées collectives auxquelles on nous convie trop souvent, tant dans les partis politiques que chez les intellectuels, sont moins politiques, universalistes et responsabilisantes qu’identitaires, relativistes et uniformisantes ».
Laïcité et féminisme
L’ancienne directrice de l’Institut socialiste d’études et de recherche (ISER), engagée à l’âge de 16 ans au MLF, consacre un chapitre fort stimulant au rapport entre féminisme et laïcité. Ceux qui nient le lien entre les deux combats pourront lire avec profit ce développement, qui ne manque pas de rappeler les controverses qui caractérisaient déjà le mouvement féministe dans les années 70, lesquelles prennent aujourd’hui un tour nouveau. Renée Fregosi condamne les « néo-féministes » qui, « en naturalisant LA femme et les relations homme/femme, en arrivent à nier les dimensions historique et culturelle de l’oppression des femmes et, partant, toute différence entre les situations des femmes à travers le monde et les sociétés ». A l’opposé d’une lecture essentialiste ou relativiste de la place de la femme dans la vie sociale, elle en appelle au contraire au « combat laïque de l’émancipation des individus libres de corps et d’esprit ». Un plaidoyer tonique, à l’image du livre dans son entier.
Philippe FOUSSIER
2019