Je suis le prix de votre liberté

Mila, Je suis le prix de votre liberté, Paris, Grasset, 2021, 144 pages, 16€

Dans son livre, Mila décrit méthodiquement les événements de ce qu’on appelle « l’affaire Mila » et s’arrête aussi de façon détaillée sur sa vie privée. Elle le fait dans des chapitres assez courts où alternent sans transition ces deux faces de sa vie. Ce balancement nous mène dans le monde vertigineux dans lequel elle a été projetée en quelques heures, le samedi 18 janvier 2020 ; elle avait 16 ans.

Une vidéo en direct postée sur Instagram, des commentaires qui dérivent vers une drague, l’attirance de Mila pour les filles blanches, et pleuvent soudain des insultes au nom d’Allah. Mila répond « Votre religion, c’est de la merde. Votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul.»

Les faits sont ensuite énoncés simplement dans l’ordre chronologique : insultes, harcèlement, menaces de viol, de mort pour elle et sa famille. ll y a aussi les amis qui lui tournent le dos et d’autres qui rejoignent la meute haineuse. Deux jours plus tard, le lundi, Mila ne peut se rendre dans son lycée.

S’enchainent alors les plaintes déposées par la mère de Mila, la protection policière, la déscolarisation, l’internat avec sa garde rapprochée qui dort dans la chambre à côté. On apprend que la justice a été saisie, deux enquêtes judiciaires ont été ouvertes. L’une vise les menaces de mort. La seconde vise à déterminer si les propos de Mila relèvent de la provocation à la haine raciale.

Mila nous livre son intimité de manière tout aussi directe : son apparence physique, son allure, ses amours, ses rencontres impossibles, ses escapades, ses larmes et aussi ses angoisses, ses colères, la perte du sens de la vie, mais en même temps sa fierté, sa dignité qu’elle continue d’affirmer.

Enfin et ce n’est pas la moindre des choses, il y a le soutien de sa famille, particulièrement de sa mère, les soutiens via les réseaux et l’arrivée de son avocat Richard Malka, « un grand réconfort ».

Et reprenons ces phrases par lesquelles elle commence sa présentation. « Que dire de plus ? On n’écrit pas sa biographie à 17 ans. C’est censé être l’âge où l’on regarde devant soi, pas derrière.»

Le danger des réseaux sociaux

Très jeune sur les réseaux sociaux, Mila se crée un autre univers dans lequel elle passe son temps libre. Elle entre dans les jeux des « like » , des abonnements etc., le besoin de s’exprimer et d’être reconnue. Mais elle y découvre aussi la manipulation et le chantage, les comptes piratés ou fermés. Chacun de ses mouvements sur les réseaux est épié et suscite des réactions violentes, quoiqu’elle dise, ses mots sont retournés contre elle. Et comme Monique Canto-Sperber  dans son livre Sauver la liberté d’expression, on se pose la question : jusqu’où tolérer que cette haine et ces défoulements envahissent le monde numérique ?

Et malgré tout elle n’arrive pas à s’affranchir de ces réseaux, qui deviennent ses seuls liens avec l’extérieur.

Les libertés défendues

Au fil des jours, on perçoit l’engagement de Mila à défendre la liberté d’expression. Elle qui en usait spontanément quelque temps auparavant, réalise les enjeux et affirme ses convictions. Le dernier livre de Richard Malka Le droit d’emmerder Dieu, apporte, à travers la défense de Charlie Hebdo, un éclairage important, puisqu’il y plaide pour les « idées que l’on a voulu assassiner et enterrer » sous motif de blasphème.

Mais ce que Mila défend plus encore c’est la liberté d’être et le titre de son livre en fait l’écho. Elle ne change pas de discours, elle ne change pas de look, elle ne s’auto-censure pas, malgré les peurs et les désespoirs. On pense alors à Raphaël Enthoven qui nous alerte sur notre « liberté d’être » menacée par les pressions et le terrorisme. Cette liberté dit-il, qu’aucune justice ne peut défendre. Mila la garde et la clame haut et fort.

Le principe de laïcité bafoué par certains parfois jusqu’au plus haut niveau de l’État

Mila relate certains propos tenus par des personnes politiques et médiatiques, comme ceux de la garde des Sceaux Nicole Belloubet qui a affirmé que « l’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience et que c’est grave ». Ces réactions ont montré de manière cinglante à quel point le principe de laïcité n’est pas du tout maîtrisé, et qu’une idée de tolérance à l’anglo-saxonne prend pied dans notre société.

Reste cette lourde interrogation : Quelle est la capacité de la France à défendre Mila ? La République semble fragile … et certains acteurs lâchent.

Pour terminer, revenons aux premières pages du livre. Il s’ouvre par une lettre d’insultes qui donne immédiatement le ton. Suit la première pensée que Mila partage : « Quand vous lirez ces lignes … J’ignore si je serai encore vivante. ». Elle résonne comme un avertissement quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty.

Aujourd’hui Mila, dix-huit ans, vit avec cette pensée.

Mariane Riss

Pour Unité laïque

2021

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