Les pendules à l’heure laïque
Didier Molines, Convictions républicaines, interrogations laïques, préface de Gérard Delfau, Paris, L’Harmattan, coll. Débats laïques, 2021, 210 p., 20 €
Dirigée par Gérard Delfau, l’excellente collection Débats laïques s’enrichit d’un nouvel opus avec cette contribution de Didier Molines. Comme l’indique le titre, l’auteur, doté de solides convictions républicaines, interroge la laïcité sous divers angles. Il en dénonce le dévoiement et remet les pendules à l’heure tant elle a été instrumentalisée pour lui faire dire l’inverse de ce qu’elle incarne. Pour lui, non seulement l’Etat doit être laïque, mais la société tout autant, « pour garantir à tous ses membres une vie sociale apaisée », libres à eux de se référer à une conviction spirituelle de leur choix s’ils l’estiment utile. La laïcité ne repose pas seulement sur la neutralité de l’Etat – « Il n’y a que le néant qui soit neutre », tranchait Jaurès-, mais requiert d’autres conditions, que Didier Molines expose ici.
L’auteur développe une série d’arguments autour de la notion d’indivisibilité de la République, qu’il confronte au communautarisme encouragé par des courants religieux souhaitant séparer les fidèles de leur culte du reste de la nation. Il dénonce dans ce phénomène « l’aliénation des individus présentée par la mode intellectuelle comme un choix de liberté » et souligne qu’on ne saurait concevoir de discrimination « qu’elle soit positive ou négative, qui serait fondée sur les origines, qu’elles soient géographiques ou autres ». Il met par ailleurs en garde quant à des conceptions véhiculées au niveau européen sur la reconnaissance de “peuples” ou de “minorités”, pour lesquels il rappelle que le droit à la différence mène invariablement à la différence des droits. Didier Molines s’en prend aussi à ceux qui attaquent frontalement ou insidieusement la laïcité. Ainsi sur la faute souvent volontaire consistant à écrire “laïc” en lieu et place de “laïque”, sur le terme de “laïcisme” ou encore sur celui de radicalisation, qui visent clairement à la discréditer. A l’instar de l’ancien ministre Jean Glavany, il réplique : « La radicalisation de la laïcité, combien de morts ? ».
Exacerbation des différences
Didier Molines a raison aussi d’examiner le concept équivoque mais si répandu de “vivre ensemble”, qu’il définit comme « une ignorance réciproque qui ne permet pas l’élaboration d’une citoyenneté commune assise sur des valeurs partagées. Il s’agir d’une formule commode pour qui veut éviter le débat sur l’affaiblissement de la République par l’exacerbation des différences, présentées comme essentielles à l’identité de certains groupes ». L’auteur avertit ceux qui pourraient penser que les monothéismes feraient aujourd’hui preuve de davantage de tolérance que jadis. Il convoque ainsi l’histoire du père Pascal Vesin, curé de Megève en même temps que membre du Grand Orient de France. Il avait été en 2013 sèchement démis de ses fonctions sur ordre du Vatican, sa hiérarchie récusant la possibilité de son appartenance à la franc-maçonnerie. Pour anecdotique qu’elle soit, cette affaire est pour Didier Molines révélatrice du « caractère dogmatique de cette organisation cultuelle ».
L’auteur questionne aussi d’autres approches, comme l’intersectionnalité, ce concept à la mode dans les mondes universitaire et médiatique, qu’il voit comme un « intégrisme antilaïque », ou la place des femmes dans la société au regard du principe de laïcité. Il consacre un utile développement au Concordat, estimant que ce choix « postule qu’il n’est pas de spiritualité sans religion ». Et il insiste enfin sur le rôle dévolu à l’institution scolaire : « La nature ayant horreur du vide, si l’Ecole ne conduit pas l’accompagnement de l’émancipation intellectuelle, il se trouvera beaucoup de volontaires, confessionnels, commerciaux ou politiques pour “former” les esprits ».
Philippe Foussier
2021