Le décolonial, doctrine de l’obsession raciale

Pierre-André Taguieff, L’imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme, L’Observatoire, 2020, 352 p., 21 €

Philosophe, politiste, historien des idées, Pierre-André Taguieff est un auteur prolifique. Il se lance dans ce volume à l’assaut des discours décoloniaux.

Spécialiste du racisme et de l’antisémitisme, du populisme et du complotisme, Taguieff a publié une quarantaine d’ouvrages qui se caractérisent tous ou presque par la grande quantité de références citées. Celui-ci ne fait pas défaut, qui propose d’abondantes notes de bas de page, témoignant encore une fois d’un impressionnant effort de documentation.

C’est donc à la pensée et aux théories décoloniales que s’attaque Pierre-André Taguieff dans ce volume roboratif qui propose une exploration très instructive de cet univers aux nombreuses ramifications et connaissant un développement massif depuis quelques années dans l’hexagone. Difficile de trouver une définition qui mette d’accord la nébuleuse décoloniale dans son ensemble, mais on pourra considérer que cette théorie définit l’emprise du colonialisme sur les structures, les comportements et les imaginaires contemporains. Pour l’auteur, il s’agit rien moins que d’une imposture, dont il explique l’absence de base scientifique pour en fustiger à l’inverse le caractère militant et les postulats biaisés.

Taguieff souligne dans son livre la manière dont ce courant de pensée exploite des mémoires victimaires et les instrumentalise politiquement. Mais bien davantage, il démonte la manière dont la pensée décoloniale essentialise les identités et racialise les questions sociales et politiques. Il explique aussi comment cette pensée stimule la fragmentation des sociétés en s’appuyant sur les différences ethniques réelles ou supposées. Et dénonce l’intolérance et le sectarisme dont font preuve les acteurs de la pensée décoloniale.

Les théoriciens du décolonialisme puisent leurs sources dans des mouvements nés en Amérique latine et aux Etats-Unis et se caractérisent tous par une vision des rapports humains dans laquelle la « race » domine, une notion disqualifiée pour des raisons évidentes après la Seconde Guerre mondiale et qui n’avait plus guère trouvé que les cercles d’extrême droite pour en promouvoir la validité. De ce point de vue, la démonstration de Taguieff, qui a consacré de nombreuses recherches à la « Nouvelle droite », est éclairante, qui permet d’identifier le caractère profondément réactionnaire de la pensée décoloniale, laquelle assigne également les individus à leur « souche », à leurs racines, dans une exaltation du passé qui dénie à l’individu la possibilité de s’affranchir de ses déterminismes.

Sabirs et jargons

De la démonstration exposée dans ce livre, on retiendra aussi la manière dont les promoteurs du décolonalisme étendent leur influence dans les domaines universitaire, éditorial, médiatique et politique, avec une réussite certaine établie en une petite dizaine d’années. Il livre aussi des éclairages sur le « business » décolonial progressant par le biais de l’instrumentalisation cynique de minorités supposées victimes d’une « blanchité » dominante.

L’auteur, directeur de recherche au CNRS, donne quelques clefs de compréhension quant à la porosité du monde universitaire et intellectuel à l’égard de ces doctrines : « On y parle aujourd’hui le post-colonial et le décolonial avec leurs variantes politico-dialectales, sabirs et jargons intellectualisés à la mode. On y parlait naguère l’idiome marxiste-léniniste althusserisé, l’heideggerien ou le sartrien, le bourdivin ou le lacanien, le post-moderniste ou le poststructuraliste », retrace Taguieff. « Chez beaucoup, la hantise d’être dépassé ou ringard est une motivation suffisamment forte pour leur faire prendre le train en marche, en s’asseyant dans le bon sens. C’est la manière la plus accessible d’imaginer faire partie d’une élite. Rien de plus banal qu’un conformiste heureux », ironise l’auteur. Il expose aussi dans ce livre les connexions entre le mouvement décolonial et certaines structures de l’ultra-gauche comme avec des courants islamistes et identitaires ainsi que des structures féministes et antiracistes. « L’idéal plus ou moins avoué de ces mouvances activistes est d’en finir avec le pluralisme des opinions et le libre débat », assure l’auteur. A en juger par la manière dont elles se sont illustrées de manière concrète pour exercer une censure ou interdire le débat dans différents contextes depuis quelques années, on aurait tort d’ignorer cet avertissement.

Philippe Foussier

2020

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