Les Fossoyeurs de la République

Mohamed Sifaoui, Les Fossoyeurs de la République, Paris, L’Observatoire, 448 p., 23 €

Concept à haute teneur polémique, comme en ont témoigné quelques controverses récentes, l’islamo-gauchisme fait dans ce nouveau livre de Mohamed Sifaoui l’objet d’une analyse au scalpel, fruit de plusieurs mois d’enquête.

Journaliste spécialiste du terrorisme et de l’islam politique auxquels il a déjà consacré plusieurs ouvrages, Mohamed Sifaoui s’est bâti une réputation de chercheur opiniâtre et soucieux de documenter ses affirmations. Ben Laden, Al Qaida, Ahmadinejad, l’histoire de l’Algérie, la stratégie des Frères musulmans et même Éric Zemmour (Une supercherie française, Armand Colin, 2010) ont eu droit à ses enquêtes dont on peut naturellement contester les conclusions mais qui témoignent toutes d’un travail d’ampleur étayé.

En s’intéressant aujourd’hui à ceux qu’il nomme Les Fossoyeurs de la République, Mohamed Sifaoui vient donc apporter sa contribution au débat sur l’islamo-gauchisme. Ceux qui sont désignés par ce terme considéré comme dépréciatif le récusent souvent, même si d’autres à l’inverse le revendiquent ostensiblement. Le concept a ainsi été forgé par le dirigeant trotskyste britannique Chris Harmann en 1994, pour qui l’islamo-gauchisme est une qualité. Mais l’un des mérites de l’enquête de Mohamed Sifaoui est d’aller creuser bien en amont de cette évolution visible récente d’une partie de la gauche occidentale. Les pages que l’auteur propose sur l’exploration historique des mouvements anticolonialistes, notamment en Egypte et en Algérie, sont particulièrement éclairantes. Elles nous permettent de mieux comprendre comment s’est construite cette rencontre entre une fraction de la gauche et des combats de nature religieuse, comment ensuite elle s’est poursuivie pour connaitre aujourd’hui un développement significatif.

Mohamed Sifoaui a raison de souligner l’étrange rencontre entre ces deux « antagonismes ». La gauche, qui place « au cœur de son action les combats progressistes et ainsi les idées féministes, antiracistes, humanistes, libertaires et laïques » d’un côté. Et l’islamisme de l’autre, au sein duquel règnent « sexisme, patriarcat, antisémitisme, homophobie, communautarisme, fanatisme, règles liberticides et bigoterie ». Dans la rencontre des deux, on pourrait imaginer qu’il y ait une forme d’interaction réciproque. Bien au contraire, le constat est clair : les valeurs de la gauche n’influent en rien sur l’islamisme mais ce dernier, lui, étend en revanche sa logique de pensée sur la gauche. Or, rappelle Sifaoui, « l’islam politique est, en tant qu’idéologie, selon les principaux marqueurs que l’on enseigne dans les instituts d’études politiques, une logique d’extrême droite ». Le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, l’avait d’ailleurs lui-même affirmé : « L’islamisme est d’extrême droite parce que des gens qui sont contre la démocratie, contre la liberté des mœurs, contre les juifs, contre l’Occident, c’est quoi sinon l’extrême droite ? ».

Stratégies d’entrisme

L’intérêt de l’analyse proposée par Mohamed Sifaoui consiste aussi dans le rappel historique des différences -parfois considérables- entre les différents courants de gauche, au point qu’ils furent assez souvent « irréconciliables » : sur l’affaire Dreyfus, sur les procès de Moscou, sur le colonialisme, sur le stalinisme, sur la guerre d’Algérie… « Depuis plus d’une vingtaine d’années, c’est l’islamisme qui joue ce rôle de révélateur », explique Sifaoui. Avec force exemples, l’auteur inventorie les structures dans lesquelles les forces islamistes ont entrepris des stratégies d’entrisme dont l’efficacité n’a rien à envier aux militants d’extrême gauche les plus aguerris. Mouvements d’éducation populaire, structures antiracistes, associations de droits de l’homme ou de droits des femmes, groupements LGBT, centres sociaux, syndicats généralistes, enseignants, de parents, étudiants, lycéens, partis politiques, médias, universités… A la vérité, il existe bien peu de ce qui fut jadis l’armature de la gauche qui ait résisté à l’infiltration entreprise par les courants islamistes, en particulier par ceux liés aux Frères musulmans. Il est vrai qu’elles sont en général largement consenties. L’auteur prend ces stratégies très au sérieux, en évoquant déjà dans le titre de son livre des « fossoyeurs » de la République : elle est selon lui « véritablement en danger de mort. Je parle de ses valeurs. De ses lois. Je parle de la République une et indivisible, de la République laïque, démocratique et sociale ».

En livrant une substantielle matière à débat et des exemples précis des phénomènes qu’il décrit, Mohamed Sifaoui assure que l’heure est grave : « Les Français, en premier lieu les responsables politiques et les élus, à moins de vouloir jouer avec le feu, ne peuvent laisser s’installer des face-à-face qui opposeraient d’un côté les tenants des thèses séparatistes, les islamogauchistes et les cercles décoloniaux et d’un autre ceux de l’ultradroite, de l’extrême droite et les identitaires ». Assurément, la question est d’actualité.

Philippe Foussier

2021

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