Plaidoyer pour un islam moderne
Kahina Bahloul, Mon islam, ma liberté, Paris, Albin Michel, 2021, 200 p., 18,90€
Première femme imame de France, Kahina Bahloul expose dans ce livre son itinéraire familial et spirituel. Elle plaide avec vigueur pour un islam moderne et libéral.
Née d’un père kabyle issu d’une famille de marabouts et d’une mère française aux origines juive et catholique, Kahina Bahloul a vécu son adolescence en Algérie durant la décennie rythmée par le terrorisme. Elle sait ce que l’intégrisme signifie. Il l’a poussée à s’interroger sur sa croyance en Dieu. Même si, comme elle le clame avec force, « la foi ne s’hérite pas, elle s’acquiert, elle s’embrasse de plein gré ». Elle l’assure : « Il n’y a rien de plus exigeant vis-à-vis de la liberté que la foi. Elle ne supporte ni contrainte ni coercition ». Elle s’est donc plongée dans la connaissance des textes, une quête dont ce livre rend parfaitement compte, regrettant que « l’islam aujourd’hui plus qu’à une tout autre époque se caractérise par une inflation des lectures normatives centrées sur l’interdit et le permis, l’amputant ainsi de toute dimension spéculative ou mystique ».
Kahina Bahloul conçoit assurément la foi davantage à travers l’introspection que par la démonstration tapageuse, apanage de certains courants. La première femme imame de France, âgée de 41 ans, déplore la promotion médiatique dont ces tendances-là bénéficient : « Si nous avions une meilleure connaissance, en Europe et en Occident en général, de ce qui s’est passé au cours des deux derniers siècles dans les pays musulmans, notamment sur le plan intellectuel, nous éviterions probablement l’écueil d’une vision essentialiste de l’islam qui conduit à limiter l’islam contemporain à ces courants fondamentalistes et revivalistes, ce que nous voyons arriver trop souvent dans certains médias mainstream français ». Se référant au soufisme, Kahina Bahloul déplore la manière dont les courants islamistes ont peu à peu imposé leur agenda : « Il est urgent pour l’islam de faire tomber les clôtures dogmatiques qui constituent une entrave au renouvellement de la pensée, à son mouvement et à son dynamisme (…). Renouer avec l’usage de la raison et la libre pensée ne constitue pas une innovation en Islam : c’est au contraire pratiquer les recommandations du Saint Coran ».
Le regard de l’Occident
Au-delà de réflexions savantes sur les diverses sensibilités de l’islam, Kahina Bahloul propose une approche de la pratique religieuse vue du côté féminin. Rien n’interdit à une femme d’être imame, preuve en est avec son propre cas. Mais la montée progressive de l’intégrisme, d’abord en Iran, en Algérie puis dans tout le monde musulman a imposé une vision patriarcale de domination et de dépossession de la femme dont le voile islamiste est la vitrine la plus éloquente. Elle rappelle que dans les années 1970 ou 1980, dans la plupart des pays musulmans, les femmes arborant cet attribut étaient minoritaires voire très minoritaires. Dans son pays, les militants du Front islamique du salut ont propagé le slogan : « Sois un homme, voile ta femme », avec le succès qu’on connait désormais.
Si le livre de Kahina Bahloul est très instructif quant à l’islam et aux pays musulmans, notamment à propos de la décennie noire en Algérie, il nous apprend aussi beaucoup sur l’Occident. L’imame met ainsi en garde sur la manière dont, indûment, le voile islamique est peu à peu devenu « le » symbole de l’islam : « Au lendemain des attentats de Christchurch, le soutien aux musulmans n’a su s’exprimer qu’à travers le voile que la Première ministre néo-zélandaise a porté lors des funérailles nationales des victimes. C’est dire à quel point la propagande islamiste a réussi à imposer l’islamisme comme la norme de l’islam », cingle l’imame, qui a fondé la mosquée Fatima en 2019. D’inspiration soufie, elle est ouverte aux non-musulmans, aux femmes voilées ou pas, et propose l’étude et la pratique d’un islam « moderne et libéral ». Sur le voile, textes à l’appui, Kahina Bahloul l’affirme : il ne s’agit en rien d’une prescription religieuse.
Philippe Foussier
2021