Mark Sherringham, président du Conseil supérieur des programmes de l’EN, se défend d’être « anti-laïque ».

Certes… mais êtes-vous laïque, Monsieur Sherringham ?

Les Notes d’Unité Laïque

Par Aline Girard, Conservateur général honoraire, membre du Bureau d’Unité Laïque

Le 4 février 2022, le ministre de l’Éducation nationale annonçait la nomination à la présidence du Conseil supérieur des programmes de Mark Sherringham. Depuis lors, les critiques ont fusé du fait de ses positions favorables au retour du christianisme dans les questions éducatives. Il a souhaité faire une mise au point dans Le Figaro le 21 février. Il se justifie : « Je n’ai jamais été anti-laïque ». Certes, mais êtes-vous laïque, Monsieur Sherringham ?

La carrière de ce haut-fonctionnaire semble exemplaire. Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé, puis docteur en philosophie, maître de conférences en IUFM, il est nommé en 2005 inspecteur général de l’Éducation nationale et devient en 2009 le doyen du groupe de philosophie de l’IGEN. Après presque une décennie au service culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis, il revient au sein du ministère de l’EN, avant d’être nommé au poste qu’il occupe désormais. C’est donc un parfait cursus honorum que celui de Monsieur Sherringham. Le rôle majeur qui lui est maintenant dévolu dans la définition des programmes scolaires, de l’école primaire au lycée, et des programmes de formation des enseignants ne semblait pouvoir être endossé par meilleur représentant !

Peut-être les enseignants et les syndicats pourraient-ils trouver que sa présence dans les cabinets de ministres clairement classés à droite comme Raymond Barre, François Fillon ou Xavier Darcos n’est pas un gage de neutralité. Mais ne nous attardons pas sur ce point. Il en va cependant tout autrement – et l’image exemplaire de Monsieur Sherringham en est profondément modifiée – lorsque le citoyen curieux se penche sur ce qui semble faire la véritable cohérence de son parcours, le retour du christianisme dans les questions éducatives. En effet, quand on s’intéresse de plus près à la carrière d’enseignant de Mark Sherringham, effectuée intégralement jusqu’en 2004 en terre concordataire d’Alsace, on apprend qu’il n’aborde aux terres laïques que pour… y présider dans les années 1990 le Conseil de l’Institut de théologie protestante et évangélique d’Aix-en-Provence. On apprend aussi que ce « philosophe chrétien », comme le caractérise le 13 février le journal La Croix, prend position en 2009 pour « réintroduire le christianisme dans le débat éducatif ». On remarque encore, en lisant l’ouvrage L’école hors de la République de Jacques Duplessy et Anna Erelle, qu’il intervient en juillet 2020 afin que les élèves d’écoles privées bretonnes de confession catholique, chapeautées par la Fondation pour l’école qui « soutient les écoles indépendantes », obtiennent un baccalauréat que le Rectorat d’académie leur refusait en raison d’un dossier de contrôle continu incomplet. Ne craignant aucune contradiction avec sa mission d’inspecteur général, il intervient comme formateur, en janvier 2020, pour

l’association « Créer son école » dans le but d’aider à la création d’écoles privées hors contrat. Intrigué par ces prises de positions fort peu laïques, le lecteur curieux constatera très vite que, pour Mark Sherringham, l’école républicaine n’est pas grand-chose puisque sa « substance », pour une bonne part, est l’héritage des écoles chrétiennes. Ce même lecteur ne saurait donc s’étonner que certains soupçonnent Monsieur Sherringham de vouloir, en réécrivant l’Histoire, « inscrire son action dans une vision postmoderniste qui affirme le retour vers les fondements religieux de l’éducation ». Paul Devin fait, pour Mediapart, une analyse tout à fait éclairante[1].

Ce ne sont pas les nombreux articles et entretiens dans la presse de Monsieur Sherringham qui permettront de calmer nos inquiétudes sur l’avenir que promet à l’école cette nomination. Citons par exemple « Réintroduire le christianisme dans le débat éducatif » dans Familles Chrétiennes en 2009, « Christianisme et éducation », dans Commentaires en 2001, ou encore « Croire aujourd’hui : point de vue d’un philosophe » dans le numéro 213 de La Revue réformée.

Loin de nous l’idée de faire un procès d’intention au nouveau président du Conseil supérieur des programmes. Après tout, la laïcité est aveugle aux religions et l’on n’oubliera pas que d’illustres protestants, comme Ferdinand Buisson, furent les champions de l’école laïque, de la République et de la Séparation des Églises et de l’État. Mais si la République, pas plus que la laïcité, ne sont antireligieuses, elles sont bien anticléricales, assumant clairement le combat contre l’influence des cultes sur l’État, et en particulier sur ce sanctuaire de la laïcité renforcée qu’est l’école de la République. Celle-ci doit former des jeunes gens et des jeunes filles en les instruisant, en développant leur esprit critique pour en faire des citoyens capables, lorsqu’ils exercent ce beau « métier », comme le disait le grand historien de la République Claude Nicolet, de placer l’intérêt général et le bien public au-dessus de leurs croyances personnelles. Le parcours, les écrits, les prises de position du nouveau président du Conseil supérieur des programmes sont particulièrement inquiétants sur ce plan.

Depuis le début de son quinquennat en 2017, le président de la   République a porté sa « méthode » du « en même temps » au niveau d’une véritable virtuosité diront certains, d’une caricature diront les autres. Parvenu à la fin du quinquennat, nous ne pouvons que constater les limites de cette pratique, en particulier dans le domaine qui nous intéresse ici, celui de la défense et de la promotion de la république laïque et de l’école publique.

Le ministre de l’Éducation nationale a mis en place un Conseil des sages de la laïcité dont la majorité des membres sont des laïques exemplaires et convaincus. Il a affirmé à plusieurs reprises vouloir revenir sur les erreurs léguées par les orientations pédagogistes qui ont formé l’idéologie dominante des services du ministère et des rectorats. Il a mis en place en 2021 un ambitieux programme pluriannuel de formation à la laïcité et aux valeurs de la République de tous les personnels de l’EN. Alors que de plus en plus nombreux sont ceux qui voudraient un renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école publique et une suppression de la loi de 2004 sur les signes religieux ostensibles, il a sans cesse rappelé avec vigueur que « l’École a pour mission de former des individus libres, égaux et fraternels et que le terrorisme et son terreau en sont l’exact inverse », insistant sur l’importance de la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty. On est en droit de se demander à quoi servent réellement tous ces efforts lorsque l’on fait « en même temps » entrer le loup religieux dans la bergerie laïque et que nombre d’autres mesures annoncées depuis quelques années vont dans le sens d’un affaiblissement de l’école républicaine, de son fonctionnement, de ses symboles et de ses buts ultimes. La marchandisation de l’école et sa mise en conformité avec les exigences de l’économie de marché ne sont pas plus favorables au rétablissement de l’excellence et de la méritocratie républicaine que les dérives égalitaristes privilégiant « savoir-faire », « savoir-être » et « compétences » sur les connaissances disciplinaires et la formation du citoyen. L’école de la République, dévoyée par les fondamentalismes marchand et pédagogiste, ne peut que continuer à s’enfoncer dans le classement PISA et surtout à perdre la confiance et l’estime des Français de plus en plus enclins à assurer l’avenir de leurs enfants dans l’école privée confessionnelle.

Cette politique est-elle consciente et assumée ? Le nouveau président du Conseil national des programmes en est-il le nom ? En tout cas, si vous êtes laïque, Monsieur Sherringham, dites-le clairement. Cela nous rassurera.

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[1] https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/110222/une-inquietante-nomination-la-tete-du-conseil-superieur-des-programmes