RAPPORT SUR LA PRÉVENTION ET LA LUTTE CONTRE LA RADICALISATION DES AGENTS EXERÇANT AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Patrick Pelloux, médecin urgentiste exerçant au SAMU de Paris, chroniqueur à Charlie Hebdo, qui arriva le premier sur les lieux du massacre de la rédaction de Charlie, ses amis, ses frères, s’est vu demander par le ministre de la Santé un RAPPORT SUR LA PRÉVENTION ET LA LUTTE CONTRE LA RADICALISATION DES AGENTS EXERÇANT AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ.

Après une année de travail acharné, rigoureux et d’une très grande qualité, il a remis ce rapport dont nous vous donnons l’exhaustivité en pdf ci-dessous.

Nous en extrayons pour lecture immédiate l’introduction, la conclusion et les dix-neuf mesures prônées par Patrick Pelloux, pour une médecine hospitalière laïque et universelle.

Nous remercions chaleureusement notre ami Patrick Pelloux de ce formidable travail qui donne le sentiment que la liberté, l’égalité et la fraternité, la laïcité et l’universalisme sont encore l’honneur de la République.

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INTRODUCTION

Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs,


Monsieur le ministre de la santé et des solidarités Olivier Véran, vous m’avez demandé, voici un an, de travailler à un rapport sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé.


La confiance qui m’a été faite pour réaliser ce rapport avec l’aide et le travail de Madame Jessica Michel de la Direction générale de l’offre de soins est un honneur pour moi et un devoir à titre personnel, citoyen et professionnel.


Ce rapport s’inscrit dans la mobilisation de la République pour lutter contre la radicalisation, et je souligne en exemple de cette mobilisation le rapport des députés M. Éric Diard et M. Éric Poulliat du 27 juin 2019 à l’Assemblée nationale.


Comme dans tous les secteurs de la société, il y a un enjeu à prévenir et lutter contre la radicalisation. Je reprends les termes des députés définissant la radicalisation comme « tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux, visant par là au premier chef la radicalisation islamiste, compte tenu du contexte post-attentats dans lequel est plongé notre pays, mais sans exclure d’autres types possibles de radicalisation ». Je pense à Samuel Patty en faisant ce rapport, à toutes les victimes des attentats qui nous obligent à continuer de bâtir une société tolérante, libre, républicaine et laïque. La volonté du gouvernement a été de porter une lutte contre le radicalisme notamment islamiste. Les établissements de santé et plus généralement le système sanitaire et social est un objectif des religions notamment d’une partie de l’islam dite politique.


En une année d’audition, rendue compliquée avec la crise du Covid je retiens qu’il y a une problématique au sein des établissements de santé complexe, sournoise mais bien présente. Lorsque j’ai commencé mes études médicales dans les années 80, il n’y avait pas de sujet sur la radicalisation et notamment avec les médecins, les soignants, hors communauté économique européenne qui ne parlaient pas de religion. Lors des auditions, il semble bien que le début du phénomène ait commencé au milieu des années 90 avec un
communautarisme, des actes de radicalisation, des conflits sur le port du voile, et parfois l’entrée d’associations dont le but véritable est du prosélytisme, des remises en causes des actes médicaux et chirurgicaux, un sexisme sournois. La santé est aussi touchée par le radicalisme et c’est encore plus intolérable, et même impensable, que cela remet en cause l’exercice de la science, d’autant plus prononcé qu’il touche l’avortement, la procréation, la réanimation et les maladies graves.

Il ne s’agit pas de viser qui que ce soit mais bien de dire les faits et de réaffirmer l’importance des principes de la République et des soins, afin de garantir des prises en charge des malades sans influences religieuses. Le premier principe, essentiel, des établissements de soins de la France est de soigner tous les malades, de prendre en charge tous les patients, en respectant les avancées et l’état de la science, de respecter les lois de la république avec intransigeance et notamment la loi sur la laïcité. Les soignants, quelques soient leurs fonctions, leurs grades, leurs âges, leurs sexes, doivent exercer leurs professions pour l’intérêt du malade partout en France avec la même exigence de neutralité, qualité et d’accès aux soins.


Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce rapport et notamment les confédérations syndicales, les représentants des agences régionale de santé et les différents échelons administratifs des ministères. Il faut souligner les travaux réalisés par beaucoup d’organismes et leur volonté de défendre les valeurs de la république dans les établissements de santé. Je souligne que nous avons auditionné à sa demande un syndicat de médecins libéraux très inquiet de la monté en puissance d’une médecine communautarisée… Cela ouvre une perspective plus large sur le système de santé dans sa globalité, avec la nécessité de garantir aux professionnels de pouvoir soigner sans être jugé par des considérations religieuses ou sectaires.


Il s’est agi, dans le cadre de cette mission, de mesurer l’impact de la radicalisation mais aussi la montée en puissance de la religion sur le comportement des agents exerçant au sein des établissements de santé. Nous avons procédé en distanciel à plus de 70 auditions toutes passionnantes et étayées d’argumentaires qui font honneur à nos interlocuteurs.


Décliner les exigences du soin, réaffirmer les principes de la laïcité et du vivre ensemble dans les établissements de santé, tel était l’enjeu de ce rapport. A travers les signes de radicalisation ou les prémices d’une médecine qui évoluerait vers une médecine communautarisée, de sélection des médecins par leur sexe, leurs origines, leurs religions… tels sont les alertes remontées au ministère.


Il est paradoxal qu’en 2022, avec le niveau de la science jamais atteint, les perspectives d’avenir considérables, les enjeux des droits des malades et des citoyens, les évolutions face aux violences, aux drames, et aussi aux particularités de santé publique, qu’une portion de médecins et de soignants se sentent investis par la religion. Réaffirmer les valeurs de la république et de la laïcité dans les établissements de santé est impératif et urgent afin de prévenir la radicalisation.

Patrick Pelloux

SYNTHÈSE DES 19 RECOMMANDATIONS PROPOSÉES PAR LA MISSION

SENSIBILISATION ET ET FORMATION DES AGENTS PUBLICS
1 Rendre obligatoire et systématique la signature de la charte de la laïcité lors de l’embauche de tout agent exerçant dans un établissement de santé

2 Faire appliquer une neutralité de tous les agents publics et des sociétés prestataires intervenant dans l’enceinte des établissements de santé

3 Créer ou renforcer les modules de formation initiale sur la laïcité et le fait religieux pour les personnels soignants et administratifs

4 Déployer des formations continues obligatoires dédiées à la laïcité, au fait religieux et à la prévention de la radicalisation pour les personnels soignants, techniques et administratifs

5 Organiser des évènements réguliers pour sensibiliser les agents publics à la prévention de la radicalisation et au respect de la laïcité

6 Mettre en place un suivi quantifié des signalements et cas observés en lien avec les ARS allant des atteintes à la laïcité au risque de radicalisation

7 Promouvoir les travaux de recherche sur les phénomènes de radicalisation. Signalement et contrôle des cas observés

8 Lancer une campagne de communication nationale sur le N° vert de signalement de la radicalisation dans les établissements de santé et médico-sociaux

9 Développer une méthode à disposition des services juridiques et RH des établissements de santé et médico-sociaux sur la prévention et le traitement de signalements allant des atteintes à la laïcité au signalement de la radicalisation

10 Renforcer le contrôle des personnels hospitaliers par un meilleur partage d’informations sur les profils à risque et la possibilité d’enquêtes administratives avant embauche

REPRÉSENTATION DES CULTES À L’HÔPITAL
11 Actualiser le cadre juridique des aumôneries hospitalières et proposer un débat sur l’évolution de leur financement

12 Renforcer l’encadrement des associations intervenant dans les établissements de santé et médico-sociaux

13 Encourager la création de lieux de culte partagés au sein des établissements de santé

PRATIQUES MÉDICALES
14 Réaffirmer la primauté du soin et renforcer la surveillance des dérives médicales

15 Poursuivre les travaux engagés sur la psychiatrie

16 Engager une réflexion dans le secteur libéral

GOUVERNANCE ET TERRITORIALISATION
17 Fusionner et renforcer le rôle des référents radicalisation et laïcité au sein des ARS

18 Améliorer le circuit de traitement des signalements et la coordination des acteurs

19 Renforcer l’interministériel sur le terrain pour favoriser un meilleur partage d’informations

CONCLUSION

Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs,

Merci d’avoir lu ce rapport. J’espère que les réflexions et décisions qu’il devrait engendrer s’enrichiront de vos analyses et de vos idées. J’ai senti lors des auditions une adhésion collective et fédérative de nos interlocuteurs au problème de la radicalisation.


Ce rapport soulève de nombreuses questions : comment appliquer les recommandations, comment continuer ce travail sur la radicalisation, appliqué à l’ensemble du système de santé, dans les EHPAD, les cliniques privées et le secteur libéral de ville. Il n’y a pas de petit combat idéologique pour préserver la laïcité, qui demeure une des garanties de l’exercice, difficile, de la médecine afin de faire bénéficier à tous les patients de l’état actuel des connaissances.


Ainsi, je souhaite que la charte de la laïcité soit signée par l’ensemble des représentants des personnels le plus vite possible. Au-delà du symbole, c’est fondamental et cela fédère tous les agents exerçant au sein des établissements de santé dans un même élan du service public. Si nous voulons réaffirmer la neutralité pour tous les personnels exerçant dans les établissements de soins, il faut réaffirmer la valeur de la laïcité conjointement avec une organisation de l’enseignement et des évènements réguliers autour de la laïcité.


Il faudra que les établissements de santé luttent contre le sexisme et l’homophobie qui sont les prémices de l’intolérance et du radicalisme religieux. Si nous parlons de la parité homme femme, il ne doit pas avoir une exclusivité de nationalité dans tel ou tel établissement afin d’éviter des communautarismes naissants.


Par ailleurs, les restrictions budgétaires des hôpitaux posent la question de la rémunération, à hauteur de 13 millions d’€ par an, des 5 aumôneries sur le budget de l’hôpital, sans compter le foncier des lieux de cultes au sein des établissements de santé. Si la loi de 1905 l’accorde, la question est de savoir quelles évolutions ce lien qui revient à la sphère privée du malade et de ses proches doit-il avoir.

Par ailleurs, je crois beaucoup au renforcement du contrôle des associations qui interviennent dans l’hôpital. L’attribution de leur agrément doit être plus rigoureux afin d’éviter tout prosélytisme. Nous devons redoubler de vigilance et combattre les radicalismes comme les organisations sectaires, considérant que l’hôpital est un de leurs objectifs.


L’enjeu des signalements doit permettre de cibler rapidement les personnes qui n’ont pas de comportements compatibles avec l’activité de soins et la charte de la laïcité afin de garantir aux malades cette neutralité des soignants. Cela rejoint l’importance de signaler les dérives médicales, et il faut pour cela soutenir les personnels : un soignant qui informe d’une pratique anormale ne doit pas avoir d’angoisse car il fait son travail et améliore la qualité des soins apportés aux malades.


Ce rapport est une étape, il doit conduire en fonction des choix de monsieur le ministre de la santé et des solidarités et du gouvernement, à une mise en œuvre, et surtout une extension au système de soin dit libéral. La France a tout à perdre sur l’éthique, la qualité et les droits des malades si elle laisse des systèmes communautarisés se développer.


En écrivant ce rapport et en faisant ce travail, j’ai acquis une conviction : le système sanitaire et social est une cible du radicalisme notamment islamiste, et nous devons le combattre. Il doit y avoir une mobilisation contre un système qui, par certains principes religieux, est une régression de l’éthique scientifique et du droit des malades. Ce n’est pas pour rien que, sur les sujets de procréation et de la fin de vie, la mobilisation des religions demeure très active.


Je fais le voeu que ces recommandations seront appliquées très rapidement et que ce travail sera étendu à l’ensemble du système de santé et social.

Patrick Pelloux