Falsification de l’histoire

Laurent Joly, La falsification de l’histoire. Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Grasset, 2022, 140 p., 12 €

Auteur d’une dizaine de livres sur Vichy, Laurent Joly centre ici son propos sur le rapport d’Éric Zemmour à l’histoire, en l’espèce celle de l’Occupation. Si le polémiste convoque si souvent l’histoire de France dans ses écrits et ses interventions télévisées, c’est dans un dessein précis, argumente l’auteur, qui renvoie à Charles Maurras : « Si l’on parvient à imposer notre interprétation du passé, on peut être en mesure d’imposer nos idées, assénait le maître de l’Action française ». 

Laurent Joly fait œuvre utile dans son petit ouvrage en mettant en lumière les filiations d’Éric Zemmour : « Les tirages de ses livres approchent voire dépassent ceux de Bainville dans les années 1920-30 ou Amouroux dans les années 1970-80 ». L’ex-journaliste présente d’ailleurs l’académicien monarchiste Jacques Bainville, qui connut son heure de gloire dans l’entre-deux guerres, comme son inspirateur le plus fécond. Mais il en est d’autres : Zemmour « est à bien des égards l’héritier de l’ultra-catholique Louis Veuillot, de l’antisémite Edouard Drumont ou du royaliste Léon Daudet », développe Laurent Joly.

La focalisation sur Vichy et notamment sur la politique antisémite du régime de l’Etat français conduit Laurent Joly à détailler comment, à partir des années 1950, une cohorte disparate d’historiens ont participé à une révision de la narration de cette période. Sont ici évoqués le Colonel Rémy, Robert Aron, François-Georges Dreyfus ou encore Alfred Fabre-Luce comme figures visant peu ou prou à banaliser Vichy. De l’historien américain Robert Paxton, si souvent cité par Zemmour, Laurent Joly éclaire les travaux et décortique la manière dont le polémiste les a instrumentalisés.

A chaque fois, il s’agit pour les inspirateurs de Zemmour et pour Zemmour lui-même de distiller l’idée que Vichy a sauvé les juifs de France, contre toute vérité historique. Joly rappelle ainsi que la plus grande partie des déportations de juifs se sont opérées avant et jusqu’en 1942, soit avant que la France ne soit entièrement occupée par l’Allemagne. Le régime de Pétain n’a eu de cesse d’amplifier les persécutions antisémites tandis que les nazis avaient des priorités autres pour la France : « Cette réhabilitation du régime pétainiste et de sa politique antisémite est un élément fondamental de sa construction politique, souligne l’auteur à propos de Zemmour. Elle vise à libérer la droite de ses complexes supposés ; à rendre acceptables des mesures jusqu’alors impensables à cause du souvenir des crimes de la collaboration ; à lever l’hypothèque Vichy afin de réunir droite et extrême droite ».

Air du temps relativiste

Autre aspect développé par Laurent Joly, la respectabilité qu’a réussi à acquérir Éric Zemmour. Car autrefois, les thèses qu’il développe « restaient confinées aux cercles pétainistes et fascisants. Elles étaient le discours, en vase clos, d’un certain milieu ». Ses propos sur l’immigration et son invocation de la notion de “grand remplacement” par exemple, a contrario de sa concurrente Marine Le Pen, traduisent une forme de transgression : « En temps normal, de tels propos, dignes de Rivarol ou de National Hebdo, auraient suffi à décrédibiliser n’importe quel candidat à l’élection suprême. Il n’en a rien été, et l’ancien président Nicolas Sarkozy a lui-même considéré que ce que le polémiste “dit sur Vichy, ça fait partie du débat” ». L’auteur rappelle aussi le rôle joué par l’essayiste Patrick Buisson, aujourd’hui soutien d’Éric Zemmour mais jadis conseiller du président de la République Nicolas Sarkozy. Laurent Joly souligne aussi la complaisance du très médiatique philosophe Michel Onfray à l’égard de Zemmour ou encore comment « le politologue Jean-Yves Camus s’est embourbé dans des distinctions oiseuses dont la conclusion est que l’auteur du Suicide français ne doit pas être classé à l’extrême droite, qu’il est surtout gaulliste ».

Indéniablement, à travers sa forte présence médiatique puis sa campagne présidentielle, Éric Zemmour aura permis à un discours d’extrême droite encore moins “décomplexé” que l’ancien de conquérir un auditoire étendu dans un contexte général finalement assez favorable : « Le triomphe de Zemmour repose sur un profond relativisme, dans l’air du temps, qui autorise à tout dire, à tout contester, à tout niveler », conclut Laurent Joly.

Philippe Foussier

2022

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