Les écoles normales, retour vers le futur antérieur…

Par Jacques Lamagnère,
ancien directeur d’école primaire
de la Ville de Paris,
membre d’Unité Laïque

À l’occasion de son déplacement de pré-rentrée, vendredi 1er septembre 2023, dans un lycée professionnel d’Orange (Vaucluse), le président de la République a annoncé qu’il voulait un retour aux écoles normales pour former les professeurs des écoles. Rappelons que les écoles normales d’instituteurs ont été supprimées à la suite de la loi d’orientation dite « Loi Jospin » en 1990 pour être remplacées par les IUFM puis désormais les INSPÉE.

Le cursus de formation est confié à l’université et c’est un diplôme à bac + 5 qui est nécessaire pour prétendre enseigner à l’école primaire. Avant 1990, on pouvait entrer à l’école normale sur concours après le bac en tant qu’élève-instituteur pour une formation rémunérée de deux ans puis trois ans à partir de 1979.

L’évolution universitaire souhaitée après la loi d’orientation devait permettre entre autres un plan de carrière revalorisé avec le nouveau statut de professeur des écoles. L’idée du président serait donc un retour en arrière avec la remise à l’honneur de ces écoles post-bac.

De quoi parle-t-on exactement? Changer la coquille pour y mettre le même œuf avarié? Déjà, dès les années 1970, la formation dans les écoles normales était tombée entre les mains des pédagogues, nouveaux idéologues autoproclamés. Ils y ont fait entrer de grandes théories issues des toutes nouvelles sciences de l’éducation. La pédagogie est passée du statut d’outil nécessaire à l’enseignant à celui d’objectif à atteindre. Ce n’était plus un moyen mais une fin. La porte des divagations s’entrouvrait. Politiquement, elle s’est ouverte à deux battants après 1981 et surtout après la loi d’orientation Jospin en 1989, qui a mis l’élève au centre du système sous la coupe du dogme de « l’apprenant construisant ses propres savoirs ».

On a progressivement marginalisé le maître « traditionnel » pour le remplacer par un enseignant dynamique et ouvert sur la société, devant apprendre de ses élèves autant que ces derniers devaient apprendre de lui. C’est donc bien à l’école normale que les grandes élucubrations ont commencé avec le « tout pédagogie ». Les professeurs d’école normale, au parcours souvent universitaire, se chargeaient avec délectation de fustiger les vieilles méthodes et de faire la promotion des nouvelles, influencées par le mentor des pédagogistes, Philippe Meirieu.

Aussi, revenir aujourd’hui à une structure ancienne qui a de fait enfanté le marasme actuel ne servira pas à grand-chose si on ne change pas le contenu. Tous ces cadres formateurs, ces idéologues restent les mêmes. Ce n’est pas la forme qu’il faut changer mais le fond. La formation initiale des enseignants, quel que soit l’établissement formateur, doit être accompagnée d’une autre approche de l’École.

Il faut impérativement remettre en question la loi d’orientation Jospin, remettre les savoirs au centre du système et retirer aux parents d’élèves leur toute-puissance. L’enseignant doit inaugurer sa carrière non pas dans la confusion et la tête pleine de méthodes inapplicables sur le terrain ou contre-productives, mais avec la certitude que son autorité sera respectée, soutenue et qu’on ne lui demandera pas de se transformer en animateur socioculturel.

L’école élémentaire doit se recentrer sur les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul, sur des méthodes de bon sens qui ont fait leurs preuves et se débarrasser du parasitisme sociétal que l’on y a progressivement injecté. Il faut, bien entendu, être de son temps, ne pas promouvoir un passéisme aveugle, mais restaurer l’autorité morale et intellectuelle de l’enseignant qui doit avoir le sentiment de former et « d’instituer » des citoyens animés par la raison et le goût du savoir, aimant leur pays.

 Re-sanctuariser l’École est vital car c’est la clef de l’émancipation des élèves par les savoirs. Encore faut-il avoir le courage de cette nouvelle révolution qui passera par une révision déchirante de l’idéologie dominante, rue de Grenelle et dans les rectorats, où sévissent tous ces tenants de l’égalitarisme et de la « bienveillance », imbus de ces pseudosciences de l’éducation, qui n’ont que des certitudes et des leçons de morale à offrir et nient aveuglément l’effondrement scolaire. Comme le disait Charles Péguy, il faut oser voir et dire ce que l’on voit.

Jacques Lamagnère

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