Fête de la laïcité du 25 juin 2022
Discours introductif de Daniel Benichou, Président de l’association « Le Chevalier de la Barre ».
Le Chevalier de la Barre fut célébré, pour la première fois, lors de la grande Révolution, à l’occasion d’une Fête de la Raison et de la Vérité qui eut lieu à Abbeville, lieu du « blasphème », le 10 décembre 1793.
Raison et Vérité. Ces deux idéaux politiques des Lumières. Et c’est cet héritage, celui de la raison comme guide de la vie de la Cité et celui de la vérité due au peuple souverain par ses dirigeants élus, qui mène à la liberté. D’autant que cette vérité s’est émancipée des croyances religieuses, ces « vérités » imposées, qui brûlaient ceux qui disaient que la Terre tournait autour du Soleil ou que l’Homme était un proche cousin du singe…
C’est donc sous la protection de la liberté politique que, depuis, nous avons vécu en Républicains, essayant sans cesse de nous déterminer par la raison et de rester au plus près de la vérité.
Mais depuis quelques décennies, des évolutions majeures se sont produites, qui ébranlent nos libertés, même dans un vieux pays démocratique comme la France. Et cet ébranlement prend des formes contradictoires, dans une sorte de tenaille.
D’une part, les réseaux sociaux ont permis l’émergence d’un complotisme généralisé, de vérité alternatives, qui viennent contredire le réel, l’habiller d’oripeaux effroyables, antisémitisme, antimaçonnisme, intégrisme religieux, pour « expliquer le monde ».
D’autre part le triomphe de l’individualisme comme aspiration ultime des êtres humains, a peu à peu donné la priorité aux exigences de chacun, qui ne peuvent plus trouver la moindre limite. Chaque désir doit être immédiatement transformé en un droit. Et s’opposer à ce droit c’est être un dictateur !
Et bien sûr, les deux branches de cette tenaille agissent de concert. Les complotistes, les intégristes, ont tôt fait de s’emparer de ce droit de vouloir n’importe quoi pour en faire le cheval de Troie de leurs tactiques contre la raison et la vérité, contre la liberté.
Cette évolution est visible chaque jour. Prenons le cas de l’offensive du burqini dans les piscines publiques : on travestit sous le « droit des femmes à porter le vêtement de leur choix », (droit qui serait issu sans doute de leur désir soudain de ne plus bronzer !), la pression religieuse sur le corps des femmes et en particulier des femmes musulmanes, qui doivent être soumises, dérobées au regard des hommes et devenir ainsi l’étendard de la domination islamiste sur les hommes et les femmes de culture ou de religion musulmane, et aussi sur l’espace public.
Or notre République, parce qu’elle est bâtie sur l’idéal du citoyen souverain et donc libre, exige l’émancipation de tous. Elle défend d’abord les droits collectifs. Parce que ce sont ces droits à l’égalité, à la solidarité, à la liberté de conscience, à la liberté d’expression, qui font avancer ensemble tous les citoyens et qui leur permettent d’atteindre collectivement la liberté, dont chacun profite.
C’est pourquoi, plus que les pays d’Europe du Nord, plus que les pays anglo-saxons, dont la culture communautariste et religieuse fournit aux individus les repères collectifs dont ils ont besoin comme tout être humain, et qui donc peuvent se livrer aux fantasmes de la toute-puissance du désir face à la loi, la France subit de plein fouet ces évolutions, n’ayant à leur opposer que sa volonté d’émancipation des Hommes devenus ainsi des citoyens, tout le reste étant de l’ordre du privé.
Et si, du fait de l’effondrement des aspirations à la Raison et à la Vérité sous la pression du complotisme, de l’affect et de l’individualisme, l’émancipation collective des Français, cette forme la plus élevée d’accès à la liberté, disparaît, c’est toute notre histoire de progrès humain qui disparaîtra avec elle.
Défendons la loi démocratique ; défendons la solidarité, défendons l’égalité, contre la boursouflure des egos, contre le retour des superstitions, contre le complotisme, contre les fake news.
C’est comme cela que nous illustrerons notre devise républicaine, liberté, égalité, fraternité, et son principal vecteur, la laïcité.
Oui, nos ancêtres révolutionnaires avaient bien raison de rappeler le martyre du Chevalier de La Barre. Oui ils avaient bien raison de placer cette première commémoration sous la double égide de la Raison et de la Vérité.
Parce que sans la Raison, sans la recherche de la Vérité, les monstres qui se cachent au cœur des Hommes abandonnés se réveilleront et c’est leur propre liberté qu’ils sacrifieront comme l’Église sacrifia Le Chevalier.