L’affaire Dreyfus, quelle leçon pour le présent?
Il y a tout juste 130 ans, le 19 décembre 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, inculpé pour haute trahison au profit de l’Allemagne, comparaissait devant un tribunal militaire. À l’issue d’un procès à huis-clos, expéditif et instruit uniquement à charge sur la base de documents falsifiés et gardés secrets, il était condamné le 22 décembre à la dégradation et à la déportation perpétuelle au bagne de Cayenne.
Ce brillant jeune officier, dont la famille, originaire d’Alsace, avait opté pour la France après la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle, se trouva ainsi, bien malgré lui, au centre d’une des plus emblématiques affaires politico-judiciaires de la IIIème république. Une République mise en danger par la collusion entre l’armée et une partie des responsables politiques et par le violent antisémitisme des ligues nationalistes d’extrême-droite.
Le soutien sans faille de sa famille, la mobilisation de ses avocats qui n’ont de cesse de mettre à jour l’irrégularité de son procès et la falsification des preuves convainquent des écrivains, des journalistes, des hommes politiques de s’engager auprès de ce que l’on appellera désormais les dreyfusards. On trouve parmi eux des hommes animés de cet esprit de justice qu’ils considèrent comme l’un des fondements de la République. Ces hommes feront la grandeur de la France républicaine, ils ont pour nom Charles Péguy, Georges Clemenceau, Jean Jaurès, Bernard Lazare, Auguste Scheurer-Kestner, Lucien Herr ou encore Émile Zola.
C’est en janvier 1898 qu’est publié dans L’Aurore, le journal de Clemenceau, une solennelle et vigoureuse adresse au président de la République, Félix Faure : le célèbre « J’accuse » d’Emile Zola provoquera un véritable tremblement de terre dans l’opinion de l’époque. Immédiatement, l’auteur sera assigné pour diffamation par le gouvernement et lourdement condamné. Il devra même, pour quelques mois, prendre le chemin de l’exil vers Londres et y laissera sa fortune, et probablement sa vie.
Cependant, ce procès aura servi de tribune aux dreyfusards ; il aura permis de mettre en lumière la justesse des arguments de Zola, de dévoiler l’iniquité de la condamnation d’Alfred Dreyfus, victime d’une mascarade judiciaire et de l’acharnement des antisémites ; il permettra surtout, de faire avancer la cause de la révision de son procès. Dreyfus ne sera pourtant réhabilité qu’en 1906.
Mais l’antisémitisme ne désarmera pas pour autant. En 1908, alors qu’il assiste au transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon, et alors que la cérémonie se déroule sous les huées et les quolibets d’une foule chauffée à blanc par une presse antidreyfusarde et antisémite taxant Zola de « pornographe » et « d’ami des juifs et des traitres », Dreyfus est blessé par balles dans un attentat dirigé contre lui. L’auteur, un journaliste nationaliste, antisémite, proche de Drumont, sera étrangement acquitté.
En ces temps où l’antisémitisme ressurgit, où les leçons du passé ne parviennent plus à éclairer le présent, il est nécessaire de rappeler sans trêve que les leçons de l’histoire s’imposent à tous. Aujourd’hui les réquisitions contre les complices de l’assassinat de Samuel Paty démontrent une étrange et choquante mansuétude, qui n’est pas sans rappeler celle dont bénéficia l’auteur de l’attentat contre Dreyfus. Aujourd’hui, l’Algérie met en prison Boualem Sansal pour faire taire sa voix, comme la France voulut faire taire Zola.
L’affaire Dreyfus et ses enseignements sont, à jamais, « notre affaire ».