Génération offensée

Caroline Fourest, Génération offensée, Grasset, 2020, 162 p., 17 €

De la police de la culture à la police de la pensée. C’est le sous-titre de ce livre de Caroline Fourest, qui narre « l’histoire de petits lynchages ordinaires qui finissent par envahir notre intimité, assigner nos identités, transformer notre vocabulaire et menacer nos échanges ».

Nous avons probablement tous en tête le souvenir de tel spectacle censuré ou de telle production littéraire contestée. L’un des mérites de ce livre consiste déjà à en dresser sinon une liste exhaustive du moins à illustrer le propos à travers de nombreux cas d’école. Pour y avoir enseigné, pour s’y rendre fréquemment, l’éditorialiste et réalisatrice Caroline Fourest évoque souvent la réalité de l’Amérique du Nord. Les Etats-Unis et le Canada préfigurent ce que l’Europe vivra un peu plus tard tant l’imprégnation culturelle du Nouveau monde sur le Vieux Continent est considérable.

Police de la culture

Les temps ont changé depuis 50 ans. « En mai 1968, la jeunesse rêvait d’un monde où il serait interdit d’interdire. La nouvelle génération ne songe qu’à censurer ce qui la froisse ou l’offense », remarque Caroline Fourest qui souligne l’inversion des rôles : « Jadis, la censure venait de la droite conservatrice et moraliste. Désormais, elle surgit de la gauche. Ou plutôt d’une certaine gauche, moraliste et identitaire ». Elle en détaille donc les exemples, en particulier s’agissant du concept d’appropriation culturelle, qui dénie à des personnes le droit d’arborer des tresses, de proposer un menu asiatique dans une cantine, d’organiser des cours de yoga ou de suggérer l’étude d’une œuvre littéraire ou artistique. La parole est confisquée selon l’origine, le genre ou la couleur de peau. Sur les campus américains ou canadiens, les renvois d’enseignants qui contreviennent aux canons de cette jeunesse ne sont plus des cas isolés. La censure rode en permanence : « Cette police de la culture ne vient pas d’une Etat autoritaire mais de la société ». Le dévoiement de combats anciens pour le féminisme, l’antiracisme ou pour les droits des personnes LGBT se généralise dans les milieux universitaires et militants et les réseaux d’influence s’étendent aux syndicats, aux partis politiques et au monde médiatique : « Ses cabales pèsent de plus en plus sur notre vie intellectuelle et artistique. Le courage d’y résister se fait rare ». En France aussi. En effet, les exemples sont multiples de telle ou telle institution qui cède à la menace de groupes de pression. « Les inquisiteurs de l’appropriation culturelle fonctionnent comme les intégristes. Leur but est de garder le monopole de la représentation de la foi en interdisant aux autres de peindre ou dessiner leur religion », observe Caroline Fourest, qui montre aussi comment l’obsession racialiste habite la plupart du temps les motivations des censeurs. L’identité est le maitre mot de ces fanatiques de l’ethnicité. Le séparatisme est leur projet, l’approche par l’intersectionnalité leur caution académique. Les exemples sont légion, mais la manière dont la pièce Kanata d’Ariane Mnouchkine, qui dépeint l’oppression des peuples autochtones, a été censurée au Canada en dit long sur la façon dont cette gauche identitaire menace clairement la liberté d’expression au nom de sa Vérité. Que la troupe du Théâtre du Soleil compte 24 nationalités importe peu pour ces « talibans de la culture ». Aux yeux des censeurs, les rôles doivent être joués par des « racisés ».

Monde monoculturel

Le multiculturalisme institutionnel de l’Amérique du Nord a bien entendu favorisé cette évolution ; la manière dont il répand son influence en Europe et en France même nous prépare à de funestes perspectives. Caroline Fourest montre ainsi comment des mouvements comme la Brigade anti-négrophobie, le CRAN ou le Parti des indigènes de la République propagent leur manière d’appréhender le monde. Les connexions avec l’islamisme sont légion pour ces promoteurs d’un « monde monoculturel » qui rêvent de la « retribalisation du monde ». En France, ses thuriféraires convient dans leurs débats Dieudonné, Tariq Ramadan ou la passionaria indigéniste Houria Bouteldja mais font interdire Mohamed Sifaoui ou la pièce de Charb. Des syndicats étudiants se font à l’occasion le relais de la censure, tant les milieux universitaire sont contaminés par ces approches, à Paris 1, à  Paris 8, à l’EHESS, à Normale Sup ou ailleurs : « La dérive d’une certaine jeunesse n’est pas seulement en cause. La démission culturelle de certaines élites doit également être interrogée. Jusqu’à quand va-t-on tolérer cette intimidation ? Ne voit-on pas où elle mène ? ».

Philippe Foussier

2020

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