Remise des prix de la laïcité du CLR
Les lauréats et le président du jury, Gérald Bronner

Le 10 novembre 2021, étaient remis à l’Hôtel de Ville de Paris les Marianne de la laïcité du Comité Laïcité République, en présence de Mme Hidalgo, Maire de Paris, de M. Valls, ancien Premier ministre, de Mme Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté et de MM Henry et Lengagne, anciens ministres.

Cette cérémonie voyait récompensés les lauréats de 2020 et de 2021, ceux de l’année dernière n’ayant pu alors recevoir leurs prix, pour cause de pandémie.

Deux hommages émouvants étaient rendus à Charb, président du jury 2012, et à Samuel Paty.






La liste des récipiendaire était magnifique, enthousiasmante et prestigieuse, et la qualité de leurs discours exceptionnelle.

2020
Prix spécial : Laurent Bouvet
Prix national : Richard Malka
Prix international : Kamel Daoud
Prix Sciences et Laïcité : Yves Bréchet
Mention au prix national : Rachida Hamdan
Mention au prix international : Mohamed Ould Cheikh M’Kheitir

2021
Prix national : Rachel Khan
Prix international : Leïla Mustapha

Vous retrouverez la totalité de l’événement en suivant ce lien : Comité Laïcité République (laicite-republique.org)

Unité Laïque félicite les lauréats, le président du jury Gérald Bronner et le Comité Laïcité République pour la qualité de cette cérémonie devenue désormais le rendez-vous annuel de tous les laïques. Pour illustrer la ferveur qui les unissait hier, voici ci-dessous l’intégralité du discours inspirant et roboratif de Richard Malka, prix national 2020.


Discours de Richard Malka

« Il y a un an, j’avais préparé un discours, c’est bien dommage qu’il ne soit plus d’actualité parce que franchement il était magnifique…

J’aurais voulu vous raconter pourquoi j’étais tant attaché à cette laïcité. Je vous aurais parlé de mes parents, mes parents venus du Maroc avec une religion, une culture qui n’était pas celle de leur pays d’accueil. Et pourtant, c’est mon frère qui me l’a rapporté, à chaque 14 juillet mes parents se levaient à l’aube pour regarder sur leur télé noir et blanc le défilé militaire et cette grande fête du 14 juillet qui pour eux était une fête merveilleuse.

Le rêve de mon père, dans son petit atelier du boulevard Montmartre, où il passait beaucoup d’heures sur sa machine à coudre, était que l’un de ses fils soit polytechnicien. Ça, ça a raté mais plus classiquement, ils sont devenus médecin, ingénieur, avocat. À cette époque-là, la méritocratie était une garantie de justice et d’égalité et n’était pas encore devenue un gros mot synonyme de racisme systémique pour les beaux esprits qui dirigent une école de la rue Saint-Guillaume.

J’aurais aimé que mon père soit là aujourd’hui, il aurait été si heureux du chemin parcouru depuis le melah, quartier réservé aux juifs à Meknès, jusqu’à cette Maison commune de la Ville-Lumière et je remercie Mme le Maire de nous y accueillir.

Mes parents s’inscrivaient sans le savoir dans la continuité de ces Juifs ashkénazes d’avant-guerre qui avaient choisi la France sans rien connaître de ce pays, parce qu’ils avaient dans l’idée que c’était la patrie de Victor Hugo, Victor Hiougo comme ils disaient avec leur accent et que c’était surtout la patrie de l’égalité des droits et que c’était en plus la patrie qui avait été capable de désavouer sa propre armée au bénéfice d’un capitaine juif et de lui décerner la Légion d’Honneur parce que oui, il est innocent et c’est un révisionnisme indigne que de prétendre le contraire aujourd’hui.

Je vous aurais dit que la France c’était la République laïque. Je vous aurais dit que jamais à l’école publique je ne me suis senti rejeté ou différencié, que mes identités multiples, Français, Juif, Arabe à bien des égards, ont pu se concilier harmonieusement grâce à cette laïcité. Et qu’ainsi j’ai pu découvrir d’autres familles dont la vôtre, celle des libres penseurs.

Quand on est serein avec sa différence, on n’a pas besoin d’en faire un étendard et cela permet d’aller vers l’autre plutôt que de se replier sur ses origines ou sur sa religion, quelle qu’elle soit. C’est rare et c’est précieux, alors, au travers des combats qui me valent ce prix aujourd’hui, je crois que je cherche à remercier cette République et à faire en sorte que peut-être, les générations d’aujourd’hui et celles de demain bénéficient de cette même chance, même si je sais que malheureusement, ce n’est plus le cas parce que c’est l’époque des replis identitaires et si nous y résistons plus que d’autres pays, nous ne parvenons plus à fabriquer de l’universalisme.

Nous n’y parvenons plus pour bien des raisons mais surtout parce que nous avons cessé d’en être fiers et que nous n’osons plus transmettre cette transcendance qui est la nôtre, parce que oui, un pays a besoin d’une transcendance. Mais il y a un temps pour tout…

J’avais prévu de vous livrer un fragment d’histoire de la laïcité mais vous en serez privés aussi parce que ce n’est plus le temps de l’Histoire.

J’aurais pu vous dire que la laïcité est la fille aînée des Lumières mais il n’est plus davantage le temps de philosopher.

Aujourd’hui, c’est le temps de l’action, de l’engagement, du combat, du réveil pour être fidèle à ce que nous incarnons aux yeux du monde et pour lui offrir un autre modèle que le communautarisme anglo-saxon qui a accouché d’un enfant monstrueux qui s’appelle le wokisme qui est la séparation de tous d’avec tous, ce qui conduira à la méfiance de tous à l’égard de tous puis à l’hostilité puis au conflit de tous contre tous.

Votre prix m’aidera, il m’honore, il me touche au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Mais ce n’est plus le temps des récompenses.

Vous êtes les protecteurs de l’universalisme, torturé, étreint depuis des décennies par nombre d’enfants gâtés de ce pays, aux titres plus ronflants les uns que les autres, qu’ils soient sociologues du CNRS ou membres du Collège de France .

La laïcité qui est bien plus qu’une idée, c’est un rêve de paix, de coexistence heureuse dans un monde rongé d’un côté par l’Islam qui se radicalise et dont les principales victimes, il faut le rappeler, sont les musulmans et les musulmanes qui veulent vivre libres et de l’autre par une idéologie obscurantiste qui transforme des bibliothèques en bûchers, retire des œuvres des musées et fait des universités des gigantesques terrains de chasse aux sorcières, excluant toute contradiction.

Vous êtes ceux grâce à qui la religion restera une affaire privée, éminemment respectable mais à partir du moment où elle reste privée et où elle n’ampute pas notre créativité, où elle n’écrase pas notre vie, où elle n’enchaîne pas notre liberté.

Vous êtes ceux pour qui ce qui est insupportable et offensant, ce n’est pas de critiquer les religions mais c’est le fait qu’une adolescente de seize ans soit obligée de vivre comme Salman Rushdie dans son pays, après cent mille menaces de mort et en étant sans cesse suivie par des policiers.

Vous êtes ceux qui n’accepteront jamais qu’une ancienne candidate à la Présidence de la République, de gauche, accable cette jeune fille. Et que des universitaires se répandent sur tous les plateaux de télé en vous expliquant qu’il faudrait renoncer au droit de critiquer les religions parce que cela froisse les croyants.

Vous êtes ceux qui n’accepteront pas le retour d’une idéologie moyenâgeuse et qui ne trouveront jamais d’excuse à ceux qui tuent.

Vous êtes ceux qui ne supporteront jamais non plus le fatalisme dans nos écoles et dans nos collèges, accompagnés et encouragés parfois par une partie de la hiérarchie de l’Éducation nationale, par des Fédérations de parents d’élèves et par certains syndicats.

Nous ne renoncerons jamais à enseigner la liberté d’expression parce que nous ne sommes pas la Ligue des Droits de l’Homme qui n’a plus de droits de l’Homme que le nom !

Nous sommes ceux qui n’accepteront pas de quelconques accommodements parce que pour reprendre une formule de mon ami Philippe Val, « La laïcité est ou n’est pas ! ». Vouloir l’accommoder c’est vouloir améliorer la coque d’un bateau en y perçant un trou. Et les premiers naufragés seront les femmes, les homosexuels et tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases islamo-salafistes. Et des trous on en a déjà percé beaucoup, beaucoup, dans le monde éducatif, sportif, associatif, dans des entreprises, dans tellement de territoires perdus.

Vous êtes ceux qui auront le courage et la force morale de refuser tout autant les discours d’exclusion, de haine et il y en a. Mais aussi l’idéologie victimaire parce que ces deux idéologies sont des poisons qui disloquent tout et ne créent que de la haine et de la violence.

Vous êtes ceux qui ont le devoir de réinventer la Gauche en lui interdisant de rester silencieuse sur ces questions. Le peuple de gauche n’attend que cela et depuis trop longtemps.

Il fut un temps où c’était un programme de gauche avant qu’une partie d’entre elles ne soit occupée à dresser des listes de mal pensants dans leur propre camp et à justifier le communautarisme.

Les coups ont été rudes depuis vingt ans. Nous avons été islamophobes, extrémistes,  uniquement parce que nous n’acceptons pas d’être privés du plaisir de rire des caricatures, que nous souhaitons qu’une crèche puisse toujours faire le choix de la neutralité religieuse et que nous ne voulons considérer ni les couleurs, ni les religions, ni les origines.

Vous vous savez que nous n’inventons pas les dangers parce que si nous inventions les dangers, alors nos amis ne seraient pas morts, il n’y aurait pas eu de Juifs tués à l’Hypercacher, ni de policiers dans les rues, ni de journalistes, ni de passants, ni de jeunes aux terrasses et Samuel Paty n’aurait pas été décapité.

La laïcité, l’universalisme ne visent qu’à banaliser l’Islam, comme le protestantisme, le christianisme ou le judaïsme pour libérer, pour que la religion, ou le genre ou la sexualité deviennent indifférents plutôt que prépondérants. Pour que l’on puisse oublier cinq minutes sa religion, son genre, son orientation sexuelle, et ce n’est pas grave, ce n’est pas une trahison, pour paraphraser Aristide Briand, « la laïcité n’est pas une hostilité, c’est une libération ! ».

Est-ce que l’on peut encore tenir ce discours à gauche ? Est-ce que je peux dire que cette obsession à revendiquer ses différences me fatigue, Parce que c’est le contraire de la complexité humaine. Parce que c’est un accomplissement de notre humanité. Qui cher Mr Mélenchon, chère Mme Rousseau ne nous mènera nulle part ailleurs qu’à la catastrophe.

Précisément, parce que l’universalisme est en danger et ce n’est certainement pas le candidat dont tout le monde parle qui nous défendra. On en entend aujourd’hui l’intérêt, bien davantage qu’hier. Il y a une attente massive, qui n’est pas satisfaite. Et c’est ce qui permet à tous les discours populistes de séduire, mais c’est à nous, à vous, de proposer des alternatives. C’est notre responsabilité. C’est à nous de proposer un autre chemin parce que la nature a horreur du vide et si nous, nous ne le faisons pas, alors nous ne pourrons pas nous plaindre que d’autres guettent les suffrages de ceux qui n’en peuvent plus.

C’est à la gauche de parler de la fierté de notre universalisme. C’est à nous de forcer le destin.

Vous me remettez ce prix à ce moment crucial et il me sera d’autant plus utile que ce n’est plus le temps des compromis. C’est le temps des exigences, c’est le temps de vous faire entendre, c’est le temps de la reconquête et c’est à portée de main parce que nous sommes encore l’immense majorité de ce pays.

Je pense à toi, Charb, à cette tribune en 2012. Alors, si tu es là-haut en train de fumer un gros cigare avec le dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans, t’inquiète pas on lâchera rien !