Inspecteur général de l’Éducation nationale, « ad majorem dei gloriam »…

Aline Girard, pour UNITÉ LAÏQUE

En 2003, un enseignant interroge Régis Debray, auteur du rapport sur l’enseignement du fait religieux : « Y-a-t-il un objectif politique derrière cet intérêt pour l’enseignement du « fait religieux » ? Si l’on veut utiliser les enseignants pour calmer les élèves musulmans des banlieues, il faut au moins nous le dire clairement et que nous sachions si nous en sommes d’accord ». Régis Debray répond : « Mais bien sûr, c’est bien de cela qu’il s’agit ». [1]

Samedi 18 septembre 2021, Abdennour Bidar, inspecteur général de l’Éducation nationale, membre du Conseil des sages de la laïcité de l’EN, déclare au 28’ d’Arte qu’il est fondamental d’enseigner les religions à l’école pour assouvir la quête de sens « essentielle à nous, les êtres humains » et pour prendre acte de la multiculturalité de la France d’aujourd’hui. La boucle est ainsi bouclée, de Régis Debray à Abdennour Bidar.

On se souvient que l’introduction de la notion « d’enseignement laïque du fait religieux à l’école » dans les programmes scolaires à partir de 2005 fut l’occasion de tailler des habits neufs à une pratique aussi vieille que l’école laïque. Depuis toujours en effet, et sans que cela ne pose de problème à qui que ce soit, on a transmis aux élèves les savoirs littéraires, historiques, philosophiques, culturels issus des grandes religions du Livre. Qui n’a pas le souvenir des Hébreux en 6ème , de l’Islam en 5ème, du catholicisme et de la Réforme en 4ème, sans parler des cours de littérature et de philosophie et de leur références régulières aux grands textes et grands penseurs religieux.

L’enseignement laïque de l’histoire et de la culture des religions n’a donc jamais été absent de l’école. Et si on a voulu soudain lui donner un éclat particulier en le baptisant « fait religieux », c’est qu’autre chose se joue dans cette affaire depuis vingt ans. Et cette autre chose, c’est, comme le laissait entendre Régis Debray, promoteur et instigateur de la particularisation de cet enseignement, la volonté de l’Union européenne et des idéologies démocrates-chrétiennes dominantes d’installer la religion dans l’espace public, et même dans le sanctuaire laïque de l’école. Sous le prétexte de corriger le manque de culture des élèves et leur difficulté à comprendre le monde dans lequel ils se meuvent, on a convoqué un enseignement du « fait religieux », devenu soudain aussi indispensable que celui des mathématiques, de la physique ou de la littérature, sans même parler de la philosophie que l’on élimine lentement mais sûrement des programmes. En quoi cet enseignement et la soudaine distinction du « fait religieux » par rapport à tous les autres faits culturels étaient-ils si urgents et uniques ?

Après vingt ans de cette acclimatation progressive à l’idée religieuse dans l’école de la République, la réponse devient chaque jour plus claire. Outre un enseignement scolaire fondu dans les différentes disciplines, comme cela a toujours été le cas, répétons-le, l’enseignement du fait religieux fait désormais l’objet de quasi-cours de religions, dispensés non plus de manière contrôlée, par des enseignants, sur le temps scolaire et dans le cadre des disciplines, mais par des associations interconvictionnelles aux objectifs religieux patents, et parfois même à l’insu des parents, dans le temps périscolaire.

La déclaration d’Abdennour Bidar est un clou de plus dans le cercueil de la laïcité scolaire, de la liberté de conscience, de la protection des enfants contre la toute-puissance des dogmes et de l’objectif fondamental de créer des citoyens à l’esprit critique. Nous voici désormais dans un temps où un Inspecteur général de l’Éducation nationale prône l’enseignement de la religion, même pas du fait religieux, au nom de l’évidente nécessité de la foi pour nourrir la quête de sens, essentielle aux êtres humains. Ces mots s’inscrivent dans le droit fil de ceux de Nicolas Sarkozy, qui affirmait dans son discours de Latran en décembre 2007 que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal ».

Nous le disions dans notre livre publié en février 2021[2], l’introduction de l’enseignement du fait religieux à l’école publique est un événement pédagogique mineur, qui s’inscrit dans une pratique constante. C’est en revanche un événement politique majeur destiné à habituer lentement mais sûrement les Français, ce peuple majoritairement et profondément athée ou agnostique et massivement laïque, à accepter le joug clérical. Depuis plus de trente ans la pression du religieux sur la société ne cesse de s’accroître. Les mots et les idées les plus simples et les plus salutaires qui traduisent notre liberté de conscience et d’expression sont désormais entendus comme des blasphèmes. La puissance cléricale a déjà largement contaminé les plus jeunes Français, en partie grâce à l’outil idéologique que représente l’enseignement du fait religieux, comme le démontrent les dernières enquêtes[3].

Tournons-nous une fois de plus vers Richard Malka, l’avocat de Charlie, l’avocat de Mila et de tant de citoyens laïques attaqués par les obscurantistes et remercions-le d’avoir publié le 22 septembre 2021 un livre dont le titre est à lui seul une réponse à Monsieur Bidar, à Monsieur Debray et à tous ceux qui depuis quarante ans ont lâché la République laïque pour capituler devant l’offensive religieuse : « Le droit d’emmerder Dieu »[4].

Un an après l’atroce massacre de Samuel Paty par un fanatique religieux, il n’est pas interdit de penser, au moins, que Monsieur Bidar a la mémoire bien courte, malgré l’hommage de circonstance qu’il lui a rendu et de se demander comment, dans le pays de l’Encyclopédie, de Condorcet, de Diderot et de Voltaire, de Combes, de Briand, de Buisson et de Clémenceau, un Inspecteur général de l’Éducation nationale proférant une telle énormité n’a pas été sur l’instant mis à pied par son ministre. Samuel Paty sera-t-il mort pour rien ?


[1] http://www.laicite–republique.org/enseignement–du–fait–religieux.html

[2] Aline Girard, Enseigner le fait religieux à l’école : une erreur politique ?, Paris, Minerve, février 2021.

[3] https://www.ifop.com/publication/droit-au-blaspheme-laicite-liberte-denseignement-les-lyceens-daujourdhui-sont-ils-paty/

[4] Richard Malka, Le Droit d’emmerder Dieu, Paris Grasset, septembre 2021.

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