J’ai exécuté un chien de l’enfer

David Di Nota, J’ai exécuté un chien de l’enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty, Paris, Le Cherche Midi, 2021, 158 p., 16 €

Docteur en sciences politiques, David Di Nota s’était déjà essayé à l’écriture romanesque et aux essais journalistiques. Avec son dernier ouvrage, rapport accablant sur l’engrenage qui conduisit à l’assassinat de Samuel Paty, il nous propose un nouveau style, celui de la « comédie politique » qui emprunterait aussi bien à la farce qu’à la tragédie classique.

Le titre et l’avant-propos nous entraînent immédiatement dans l’univers de Kafka : celui du Procès fait à Joseph K., exécuté par deux hommes munis d’un couteau de boucher et dont les dernières paroles sont : « Comme un chien ! ».

Au-delà de cette référence explicite à l’auteur tchèque, Di Nota nous invite à assister à une tragédie, digne de celles des grands auteurs classiques du XVIIe siècle. Dans Les Caractères, La Bruyère écrivait « Le poème tragique vous serre le cœur dès son commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer et le temps de vous remettre, ou, s’il vous donne quelque relâche, c’est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dans de nouvelles alarmes ; il vous conduit à la terreur par la pitié, ou, réciproquement, à la pitié par le terrible ; vous mène par les larmes, par les sanglots, par l’incertitude, par l’espérance, par la crainte, par les surprises et par l’horreur, jusqu’à la catastrophe. ». Voilà ce qui attend le lecteur de ce rapport, qui n’est pas le procès de ceux qui ont concouru, par leurs lâchetés ou leurs complicités, à la mort de Samuel Paty, mais une immersion dans notre société et ce qu’elle peut véhiculer de pire comme idéologies fascisantes et obscurantistes.

Un « crime institutionnel »

L’ouvrage débute par la reconstitution du drame, un « crime institutionnel » comme le nomme l’auteur : l’assassinat en octobre 2020, par un terroriste islamiste, de Samuel Paty, enseignant d’histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine.

La mise en place de l’intrigue repose sur la présentation des personnages : le professeur, autrefois hussard noir de la République, respecté et honoré, aujourd’hui enseignant méprisé par une hiérarchie et victime des pédagogistes qui sapent depuis des décennies l’école républicaine ; l’élève, pièce maîtresse de ce nouvel édifice ; le parent d’élève enfin, qui occupe, tout comme son enfant, une place centrale dans le fonctionnement de l’institution.

L’intrigue ensuite. C’est une histoire de parole. Celle du professeur qui assumait parfaitement sa mission de faire de ses élèves de futurs citoyens éclairés.

C’est une histoire de mensonge, celui de l’élève « choquée » par un cours auquel elle n’a même pas assisté. Une farce, qui sera le fondement du procès fait à Samuel Paty et qui conduira à sa mort.

C’est une histoire de rumeur. Celle du père de l’élève, relayant sur les réseaux sociaux le ressenti de sa fille. Rumeur qui prendra les atours d’une fatwa numérique quand un quatrième personnage, s’emparera de l’incident, trop heureux de pouvoir le présenter comme un « crime islamophobe ».

L’Ecole de la confiance ?

L’analyse de cet assassinat sert ensuite de point de départ à l’auteur pour dresser un état des lieux de l’Ecole aujourd’hui.

Le constat est celui du « pas de vague », des accommodements raisonnables. Ceux d’une hiérarchie dont le manque de courage et de discernement est flagrant à tous les échelons : l’accusation d’une erreur commise par Samuel Paty, aussi bien par la principale, invitant l’enseignant à s’excuser, que par l’inspecteur ou le référent laïcité, fera de Samuel Paty le fautif, celui qui aurait offensé, faisant triompher « l’omerta et le blasphème ». L’enseignant, héros solitaire, tentera de se délivrer de ce piège. Il semble être le seul à disposer de discernement, quand il se rend au commissariat pour répondre d’une plainte déposée contre lui par le père de l’élève et l’accompagnateur. Le seul à porter les valeurs républicaines de liberté et de laïcité, en soulignant qu’il n’a fait aucune erreur dans l’exercice de sa mission et que la République laïque ne connaît pas le blasphème. Samuel Paty sera donc l’unique personnage de cette tragédie à n’avoir, à aucun moment, renié ses idéaux et ses principes pour acheter la paix. Cette attitude courageuse qui lui coûtera la vie.

De l’antiracisme comme vecteur de haine

Mais toute la force de l’ouvrage de David Di Nota réside dans sa capacité à intégrer cet événement dans une lecture plus large des dérives que connaît notre société. Comment un tel crime est-il possible dans une société démocratique ? Comment un citoyen éclairé, porteur d’une mission d’instruction, a-t-il pu être assassiné dans notre République, garante des droits et des libertés individuels ? Di Nota nous montre, avec une argumentation aussi claire qu’implacable, que les germes de cet assassinat sont présents depuis des années et n’attendaient qu’un événement pour se développer, tel un lierre se répandant sur un mur. Cet événement, ce n’est pas le cours de Samuel Paty, coupable de rien et pourtant responsable de tout aux yeux de beaucoup. Non. Cet événement, c’est la Rumeur. Celle qui gangrène la société, celle qui trouve dans les réseaux sociaux un formidable accélérateur, celle qui s’allie aux dérives les plus obscurantistes de notre société. L’antiracisme dévoyé, le décolonialisme, le victimisme, l’islamisme, sont convoqués à la barre et déconstruits pour montrer que ce sont ces idéologies-là qui ont créé l’arsenal dont se sont emparés ceux qui se sont attaqués à Samuel Paty et guidé celui qui l’a exécuté. Tous coupables. Les lâchetés ont conduit au pire.

David Di Nota signe un livre choc qui ne pourra laisser indifférent.

Laure Schmittel

2022

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