Avril 2022 : élection présidentielle, Ramadan, Pâques, Pessah. La grande braderie de la laïcité

Par Jean-Pierre Sakoun,
Président d’Unité Laïque
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Tribune publiée dans Marianne le 12 mai 2022
« En ce mois d’avril 2022, la laïcité a été particulièrement maltraitée » (marianne.net)

Le printemps 2022 a vu la conjonction inhabituelle de l’élection présidentielle et de trois des plus importantes fêtes des grandes religions monothéistes, le Ramadan, les Pâques catholiques et la Pâque juive, Pessah.

Cette année, la question laïque a souvent été au cœur des débats du fait de la montée en puissance de la revendication séparatiste de l’islam politique. Le spectacle navrant auquel il nous a été donné d’assister à cette occasion nous laisse sans voix et signale le progrès de la pression religieuse, de quinquennat en quinquennat.

D’un côté un mouvement politique se voulant de gauche qui, malgré les opinions laïques naguère  revendiquées par son président, a désormais jeté toute retenue et toute pudeur aux orties pour aller flatter les pires tendances communautaristes de l’islamisme. Ce mouvement trahit ainsi non seulement la République, mais aussi et surtout tous nos concitoyens de culture ou de religion musulmane qui demandent depuis des années notre soutien pour s’émanciper du joug patriarcal, obscurantiste et menaçant de l’islam radical.

De l’autre, un président-candidat qui flatte la manifestation la plus odieuse de l’asservissement des femmes et de leur effacement en félicitant pour son féminisme l’une de ces militantes voilées dont la mission est d’être toujours sur la photo lorsqu’une autorité publique passe à proximité.

On a même vu un ministre de l’Intérieur et d’autres encore, élus locaux, maires et parfois tout le conseil municipal, aller rompre le jeûne, dans un œcuménisme de mauvaise aloi où l’évêque, l’imam et le rabbin viennent se congratuler.

On voit encore un maire autoriser les femmes à porter le burqini au nom de la liberté, quand en Afghanistan le refus de cette « liberté » se paie de la vie.

Nous n’avons rien à redire, bien au contraire, lorsque les caciques de religions dont chacune nous  explique qu’elle est la seule à détenir la vérité et dont la plupart sont prosélytes, préfèrent fêter ensemble leurs moments de foi, plutôt que de s’entretuer et de se massacrer au nom de l’amour depuis vingt siècles. Mais est-ce bien le rôle des autorités de ce pays laïque, inventeur et porteur de la séparation et de la protection de l’État et des citoyens contre l’emprise mentale, intellectuelle et sociale des croyances et des superstitions que d’aller ainsi à Canossa, à la Mecque ou à Jérusalem, ou plus exactement et de manière plus réaliste à la pêche aux voix ?

Alors bien sûr, lorsqu’on les interpellera à ce sujet, ils répondront que ce n’est pas si grave, qu’il faut bien comprendre qu’en période électorale on puisse ainsi déroger, qu’après tout « Paris vaut bien une messe » et que de toute façon toute le monde le fait et donc pourquoi pas eux ! Le « vivre ensemble » n’est-il pas à ce prix ?

Eh bien nous leur répondrons que si le « vivre ensemble » est à ce prix, il est bien cher payé puisqu’il détruit la république laïque. Ne nous y trompons pas, les responsables des cultes pratiquent tous la « politique du cliquet » consistant à considérer que tout recul de la laïcité est un acquis et qu’il autorise à passer à l’étape suivante. N’a-t-on pas vu un élu municipal prêter contre toutes les règles un stade pour que 10 000 fidèles viennent y prier et se faire sermonner par l’imam local parce qu’il avait osé ne pas être présent pour honorer les fidèles ?

L’objectif final des cultes ? Il est très simple, reprendre durablement pied dans la sphère publique et politique pour imposer leurs dogmes, leur morale bigote, leur orthopraxie et leur autorité illégitime aux citoyens ravalés au rang de soumis.

Mesdames et Messieurs les élus, votre place n’est ni dans les mosquées, ni dans les églises, ni dans les temples, ni dans les synagogues, encore moins, comme vous êtes de plus en plus nombreux à le faire sans vergogne, pour y faire de la politique alors que la loi de Séparation l’interdit. Votre place d’élus de la République laïque est dans votre mairie, votre Conseil départemental ou régional, dans les Assemblées, dans votre ministère, ou à l’Élysée pour prendre soin de tous vos concitoyens en restant aveugles à ce qui les sépare ou les pousse à s’entretuer depuis des siècles, et que l’on résume aujourd’hui sous cette terrible dénomination de « vivre ensemble ». Votre devoir consiste au contraire à les rassembler dans l’universalisme, par la fraternité universelle, cet idéal qui a permis l’émancipation de tous les Français depuis 230 ans.

Mesdames et Messieurs les élus, retrouvez le courage de ne pas céder aux pressions religieuses. Montrez à vos administrés que vous savez résister au chantage électoral. C’est ainsi qu’eux-mêmes comprendront que c’est en s’adressant à vous au nom de la République qu’ils se feront entendre et non en allant chercher la médiation communautaire de leurs prêcheurs.

Souvenez-vous du grand Clemenceau, au sortir de la Première Guerre mondiale, dans une France dans laquelle la religion catholique avait regagné une grande partie de son influence dans la société. Lorsqu’il apprit que le Président Poincaré s’apprêtait à aller assister au Te Deum de victoire à Notre-Dame, invité par l’archevêque de Paris, il le lui interdit en lui rappelant qu’il était le Président de tous les Français et pas des seuls catholiques.

Mesdames et Messieurs les élus, votre devoir ne consiste pas à être à tour de rôle l’élu des musulmans, l’élu des catholiques, l’élu des protestants, l’élu des juifs – sans être d’ailleurs jamais l’élu des athées et des agnostiques qui forment pourtant la grande majorité du peuple français. Votre rôle consiste à être toujours l’élu de tous les Français sans privilégier jamais une religion sur une autre, et surtout sans privilégier les associations de croyants sur toute autre forme d’association, au nom d’on ne sait quelle supériorité de la religion sur la morale civique et laïque.

Cessez de vous soumettre, cessez d’humilier la République et vous verrez que vous gagnerez ainsi l’estime, le respect et les votes de tous ceux de vos concitoyens qui ne supportent plus cette prise de pouvoir rampante des dogmes sur la liberté de conscience.

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