Les républicains laïques pro-Macron, grands perdants de sa réélection

Signaux contradictoires

Par Hadrien Mathoux

Publié le 27/05/2022 dans Marianne
Les républicains laïques pro-Macron, grands perdants de sa réélection (marianne.net)

Avec une contribution de Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité Laïque, interviewé et cité par Hadrien Mathoux dans cet article.

Ils avaient choisi de soutenir le président : les milieux laïques n’ont obtenu ni circonscription aux législatives ni ministère dans un gouvernement marqué par la nomination de Pap Ndiaye, supposé éloigné de leurs positions. Et si le tournant républicain du premier quinquennat n’avait été qu’un leurre ?

L’humeur est maussade chez les piliers du Printemps républicain, à l’image de Gilles Clavreul, qui convoque une citation du Grand Condé datant de 1648 pour décrire son sentiment sur Facebook : « Je vois bien qu’il faut que je reçoive quelque petite mortification, mais pourtant il est assez rude de servir avec la passion avec laquelle je sers, et se voir hors d’état de rien faire ni pour soi ni pour ses amis. » En d’autres termes, plus contemporains : les rangs laïques n’ont pas été récompensés de leur soutien à Emmanuel Macron, tant s’en faut.

Alors qu’il espérait une dizaine d’investitures de la majorité aux législatives, le Printemps républicain n’en a décroché qu’une seule. L’essayiste Zineb El Rhazoui et le président du mouvement, Amine El Khatmi, n’ont pas obtenu de circonscription. Pis : au ministère de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, chantre de la lutte contre le « wokisme » et l’« islamo-gauchisme » a été remplacé par l’historien Pap Ndiaye, dont les idées sur ces thèmes (laïcité, antiracisme, universalisme) semblent opposées.

Pour le camp républicain, c’est la douche froide. « Les deux ministères chargés de porter la République laïque par le savoir et la culture sont donc désormais sous la conduite de deux multiculturalistes » tonne Jean-Pierre Sakoun, président de l’association Unité laïque, dont la critique vise aussi Rima Abdul Malak, nouvelle ministre de la Culture. « On ne peut que constater que M. Ndiaye n’est pas l’ami de la République laïque, même s’il a toujours eu l’habileté d’enrober sa critique radicale dans une rhétorique distanciée et dans une certaine ambiguïté… » estime le militant.

UN DÉSAVEU NOMMÉ NDIAYE

Le ministre de l’Éducation est en effet loin d’être l’épouvantail idéal, raison pour laquelle les critiques des milieux laïques sont restées bien plus feutrées que celles entendues à droite. Le profil de cet universitaire pondéré et tout en nuances empêche de le ranger dans la moindre case. Visiblement fasciné par le modèle américain, Ndiaye est un promoteur des Black Studies et des recherches intersectionnelles, mais dénonce « l’intolérance et le sectarisme » des militants décoloniaux.

Dans le Monde en 2019, l’historien résumait en une phrase toute la subtilité (l’ambiguïté, diraient certains) de sa position : « Si l’on veut déracialiser la société – et donc faire de telle sorte que la couleur de la peau n’ait pas plus d’importance que celle des yeux ou des cheveux –, il faut bien commencer par en ­parler. » C’est ­pourquoi des laïques notoires se refusent à le charger. « Il doit être jugé sur ses discours et ses actes de ministre, pas sur des préjugés reposant sur beaucoup de confusions intellectuelles et idéologiques » estime ainsi l’essayiste Philippe Guibert.

UN MACRONISME D’OPPORTUNITÉ

Reste que les signaux contradictoires envoyés par Emmanuel Macron déstabilisent les défenseurs de la laïcité. Après une campagne de 2017 placée sous le signe d’une laïcité « apaisée » tendant vers le multiculturalisme, le président a opéré une mue spectaculaire au fil du quinquennat… Assiste-t-on à une nouvelle embardée ? Au fond, que pense le chef de l’État ? « Je crois que M. Macron n’est pas un laïque estime Jean-Pierre Sakoun. Son histoire, son action, démontrent qu’il s’associe plutôt à une ligne concordataire. En réalité, je pense que le discours des Mureaux et la loi séparatisme, que nous avons soutenus, vont dans le sens d’une lutte responsable et indispensable contre le terrorisme, pas dans celui d’un renforcement de la laïcité. »

Pour Philippe Guibert, « le macronisme n’a pas de doctrine sur la question républicaine, ou plutôt il en a plusieurs en fonction des moments et des situations ». L’intellectuel Raphaël Enthoven, amer, semble partager cette idée d’un président caméléon, mais invoque un autre animal : « Telle une chenille qui refuserait de muter en papillon, le macronisme a ostensiblement tourné le dos à tous ceux qui, sans ménager leur loyauté, voulaient lui donner une colonne vertébrale. »

Si cette flexibilité idéologique déçoit de nombreux laïques, elle nourrit leur volonté d’influencer la ligne gouvernementale, comme le confie Gilles Clavreul : sans nier la « déception réelle » du Printemps républicain, l’ancien préfet, qui ne regrette pas son soutien à Macron, « espère de nouveaux ajustements après les législatives. Le changement de cap du président est tellement soudain qu’il peut y en avoir un nouveau dans quelques semaines ». L’avantage d’un président plastique, c’est qu’on peut toujours espérer le modeler à son goût.

Par Hadrien Mathoux

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