Vers une société communautariste et confessionnelle ?
Vers une société communautariste et confessionnelle. Le cas Samuel Grzybowski, par Aline Girard. Paris, Editions Pont9, 2023, 119 p. 16,90€
Préface de l’ouvrage
Le court ouvrage d’Aline Girard, secrétaire générale d’Unité laïque, est percutant. Il n’est pas percutant comme un direct du droit ou comme un pamphlet destiné à emporter l’adhésion du lecteur par une rhétorique enflammée sans que, souvent, les arguments ne viennent soutenir la prise de position. Il est percutant comme un réquisitoire.
Aline Girard doit à sa formation et à ses années d’activité professionnelle dans les bibliothèques, et en particulier à la Bibliothèque nationale de France, sa capacité à étayer sa pensée avec une précision intraitable. L’un des premiers lecteurs de ce texte, et pas le moindre, l’ami Stéphane Rozès, a dit à l’auteur son étonnement, voire son effarement, devant la qualité, le nombre, la précision, l’exactitude des citations, des références et des sources. On a perdu aujourd’hui l’habitude de lire un travail aussi puissamment charpenté. C’est la première qualité de ce livre qui, plus qu’une personne, Samuel Grzybowski, met en accusation un système et peut-être même une génération de jeunes intellectuels perdus pour la République. Il en va de l’honneur et de l’éthique d’un auteur de ne pas accuser à la légère, comme d’un procureur de ne pas bafouer la dignité d’un prévenu. Cet ouvrage devrait être donné en exemple à tous les journalistes, à tous les investigateurs. Il leur apprendrait ce qu’est une enquête solide et inattaquable.
Mais il ne faut pas croire que ce travail est indigeste ou fastidieux. A la rigueur de sa méthode, l’auteur ajoute un vrai style, avec des bonheurs d’écriture et une élégance qui donnent souvent envie de noter dans un carnet certaines formules, certaines phrases, certains paragraphes éclairants et ciselés dont on sait que l’on aura l’occasion un jour ou l’autre de se resservir pour anéantir l’argumentation souvent indigente des rhétoriciens de la coexistence des religions et du communautarisme.
Car il faut en venir au fond. Et le fond, c’est le dévoilement des agissements et des menées coupables de tout un pan de la société politique et intellectuelle de notre pays, inféodée aux deux impérialismes religieux et marchand, pour reprendre l’heureuse expression de l’historienne Sophie Bessis, qui s’accordent comme larrons en foire pour liquider le citoyen républicain, laïque et universaliste au profit – c’est le cas de le dire – du consommateur soumis au marché et des talapoins.
Au détour des pages on voit se dessiner les différentes facettes du « modèle » Grzybowski. La foi avant la liberté, la foi avant l’égalité, la foi avant la fraternité, la foi avant la laïcité. La foi comme modèle de coexistence à opposer à la République et à sa devise. Ces entreprises, au sens le plus commerciales du terme, sont destinées à semer la confusion dans la société et en particulier chez les écoliers, les collégiens, les lycéens, les enseignants, bref, dans toute la communauté éducative, pour leur faire rejeter l’extraordinaire principe émancipateur de la citoyenneté laïque et républicaine.
Pour cela, Monsieur Grzybowski et ses amis, si nombreux, si bien élevés, si idéalistes, s’appuient sur toutes les ressources que peut leur fournir le soft power communautariste et bienpensant d’une Amérique convaincue de son destin messianique. A travers think tanks, fondations philanthropiques, multinationales socialwashed et greenwashed, toute la politique des États-Unis concourt à fournir à la nébuleuse de l’interconvictionnel, du community organizing et du social business les moyens de son emprise progressive sur la société française.
Dans ces réseaux où les mots ne recouvrent pas le sens que la plupart des Français leur donnent, dans un cocktail de George Orwell et d’Aldous Huxley, il s’agit sous les dehors d’une hyper-modernité rendue désirable, comme on rend désirable un paquet de lessive en tête de gondole d’un supermarché par un storytelling éprouvé et efficace, de « démoder » les Lumières, peintes sous de sombres couleurs et de rendre enviable l’obscurantisme. On ne peut lire ce petit livre sans penser à Rhinocéros d’Eugène Ionesco. La pression, le conformisme, l’inversion des valeurs peuvent un jour nous amener à croire – et le mot est bien choisi – que le lourd et laid quadrupède est plus beau, plus svelte, plus spirituel que Jacques le fataliste ou que Figaro. Voilà ce à quoi s’emploient les Grzybowski du temps, appuyés sur tous les usual suspects de la laïcité dévoyée, dont vous n’aurez, je pense, aucune difficulté à deviner les noms.
Mais Samuel Grzybowski et ses alliés sont surtout les révélateurs du danger qui guette notre pays, notre nation, notre peuple et son idéal indivisible, laïque, démocratique et social, son idéal républicain. Ils font apparaître nos faiblesses qui autorisent ses tristes jeunes gens à œuvrer pour détacher de la République les jeunes générations, pour leur offrir une image du monde purement idéologique et sans aucun rapport avec le réel.
Ces réseaux religieux et marchands travaillent au quotidien à séparer les citoyens de la République et à leur faire oublier la dignité du peuple politique. S’ils y parviennent, alors la grande aventure des Lumières s’achèvera et les citoyens ne seront plus que des gens, des individus, des consommateurs, des croyants. Ils ne comprendront plus du monde que ce qui leur en sera révélé. Voilà ce que donne à comprendre le livre d’Aline Girard, manuel de survie du peuple souverain au temps de la peste narcissique et bigote.
Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité laïque