Reprendre l’initiative : La loi confortant le respect des principes de la République – 2021

Cette loi est la manifestation de la prise de conscience par l’État des dangers qui menacent la laïcité, clé de voûte de la Nation et de la société française. Elle est l’objet d’une réaction féroce de la part de ses adversaires qui craignent de perdre en quelques articles une bonne partie du terrain qu’ils ont tenté de reprendre à la laïcité depuis un siècle.

Les forces de la loi

La loi présente quatre grandes avancées.

  • Elle confirme la neutralité du service public en l’étendant aux entreprises et associations délégataires ;
  • Elle donne aux préfets les moyens légaux de contrôle de la neutralité des décisions et de l’action des collectivités territoriales ;
  • Elle étend à toutes les associations ayant un objet cultuel, même si elles ne sont pas enregistrées sous le statut des associations cultuelles de la loi de 1905, les prescriptions de cette dernière et élargit le contrôle sur leur fonctionnement et leurs ressources afin de limiter les confusions entre objet cultuel et objet culturel ;
  • Enfin, elle s’attaque à certaines causes et effets de la radicalisation extrémiste à base intégriste en :
  1. Renforçant les contrôles sur les enseignements prodigués dans les établissements privés hors contrat et à domicile ;
  2. Proposant des moyens de lutter contre la haine en ligne et la mise en danger des personnes, illustrées de la pire des manières en 2020 par l’assassinat du professeur Samuel Paty ;
  3. Luttant contre les comportements communautaristes contraires aux lois de la République et notamment contre les inégalités de traitement parfois dégradantes imposées aux femmes par des prescriptions religieuses qui voudraient prendre le pas sur les lois de la République.

La loi semble donc prendre la mesure du danger que représente, en particulier depuis quelques décennies, l’islam politique et radical – c’est-à-dire l’islamisme – prôné par les frères musulmans et les organisations salafistes, pour séparer les citoyens de confession ou de culture musulmane de la communauté nationale. Les rédacteurs de la loi ont veillé à ce que cette loi, comme toutes les lois de la République, conserve une portée universelle et puisse s’appliquer à toutes les formes de dérives religieuses et philosophiques sectaires, même si c’est aujourd’hui l’islamisme qui représente la menace principale contre la République.

La « loi confortant le respect des principes de la République » représente une occasion exceptionnelle, qui ne se répètera probablement pas avant longtemps, de réparer le lien abîmé par quarante ans d’errements gouvernementaux, de reculs et de compromissions, entre les Français et leur laïcité.

  • Elle aborde des sujets cruciaux pour l’avenir de notre pays et en particulier la laïcité, clé de voûte de l’unité nationale. Il serait donc très dommageable pour l’avenir du pays qu’elle soit progressivement affaiblie au point d’être dénaturée et de ne plus répondre à toutes les questions qui restent non résolues et menacent l’unité nationale, la liberté de conscience et in fine la République.
  • Les faiblesses de la loi

    Nous avons évoqué ci-dessus l’opportunité et la nécessité d’une telle loi et énuméré ses qualités ; il paraît essentiel d’en pointer les insuffisances, les limites et les dangers dans sa forme actuelle.

    • Il est regrettable qu’une telle loi ne propose pas un préambule exprimant de manière solennelle sa philosophie et affirmant l’importance de ce geste législatif ;
    • Une telle loi ne peut pas faire, pour des raisons d’opportunité ou de calcul politicien, l’économie de certaines questions centrales pour le respect des principes républicains et l’unité de la Nation. Ainsi, il est malheureux qu’à aucun moment ne soient abordés, même de manière conservatoire et à titre documentaire, trois aspects essentiels des débats sur la laïcité, à savoir la nécessaire extension des lois de la République à la totalité du territoire métropolitain et ultramarin, l’anomalie que représente le financement public de l’école privée et la constitutionnalisation des principaux termes des articles principiels de la Loi de séparation des Églises et de l’État ;
    • Le mécanisme proposé dans la loi et destiné à inciter les associations cultuelles enregistrées sous le statut de la loi sur les associations de 1901 à l’abandonner pour rejoindre le statut d’association cultuelle de la loi de 1905, nous paraît peu efficace.

    La possibilité offerte par la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes, de déclarer une association cultuelle sous le régime de la loi sur les associations de 1901, était liée au refus de l’Église catholique de s’inscrire dans le cadre de la loi de 1905 en matière de propriété des lieux de culte. La question immobilière soulevée par l’Église catholique ayant été – mal – résolue par les accords Briand-Poincaré-Ceretti de 1923-1924, il aurait fallu supprimer l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 et contraindre ainsi toutes les associations cultuelles à rejoindre le statut de la loi de 1905, dans un délai de quelques années, fixé dans la loi.

    • Cette loi ne porte pas précisément sur la laïcité scolaire. Il est cependant évident que la conscience citoyenne laïque et républicaine se construit au cours des années de formation initiale des jeunes Français. En conséquence on doit regretter l’absence de dispositions destinées à favoriser la promotion et la diffusion des principes républicains auprès des jeunes et à renforcer spécifiquement la prévention de leur possible radicalisation.

    De même, il n’y a aucune raison de laisser hors du champ de l’obligation de neutralité des agents faisant action de service public, les bénévoles qui, à la différence des entreprises privées ou des associations délégataires, ne sont pas concernées par la loi. Or, par exemple, les sorties scolaires sont bien des activités de service public et non des activités de loisir puisqu’il s’agit d’une prolongation de la classe hors des établissements. Il est donc tout à fait normal que les accompagnants bénévoles qui sont ici auxiliaires du service public, manifestent la même neutralité religieuse ou philosophique que les employés des sociétés de transports en commun ou de restauration scolaire. C’est même encore plus justifié et nécessaire puisque l’école publique est la cadre d’une laïcité renforcée destinée à développer le sens critique des enfants et à assurer l’édification de leur liberté de conscience.

    • La loi devrait être plus exhaustive en matière de lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes, nées de pratiques religieuses rigoristes et extrémistes. Ainsi aurait dû être abordé et caractérisé comme un comportement sectaire le voilement des mineures, en particulier des mineures de quinze ans.

    Une disposition inacceptable

    Les dispositions de l’article 28 autorisent les associations cultuelles à exploiter directement des biens immobiliers. C’est une véritable brèche ouverte dans la loi de Séparation qui pourrait conduire à terme à l’instauration d’une pratique concordataire.

    • La loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 accorde aux cultes des avantages fiscaux sur les dons des fidèles. Ces avantages permettent aux associations cultuelles d’échapper à l’impôt sur ces libéralités. Cette générosité de la République n’est légitime qu’à condition que l’association cultuelle qui en bénéficie se cantonne à son objet, l’exercice du culte. C’est à ce titre et dans ces conditions que la République garantit le libre exercice du culte (article 1er de la loi de Séparation du 9 décembre 1905). Depuis de nombreuses années, les responsables des cultes tentent d’obtenir la possibilité d’exploiter directement les biens immobiliers qui leur sont légués ou qu’ils reçoivent en donation. En effet, à ce jour, et même dans le cadre des assouplissements et des avantages conférés au culte catholique par le gouvernement de Vichy, ceux-ci ne peuvent exploiter directement les biens immobiliers qui leur sont transférés puisque cette exploitation ne ressort pas de l’exercice du culte.
    • L’exploitation directe des biens immobiliers par les associations cultuelles présente des inconvénients graves et nombreux :
    • Rupture d’égalité entre les cultes en fonction de la situation immobilière de chacun ;
    • Non soumission à l’impôt d’une activité commerciale sans rapport avec le culte du fait des avantages fiscaux consentis aux associations cultuelles
    • Rupture d’égalité vis-à-vis des exploitants immobiliers commerciaux ;
    • Subventionnement indirect des cultes, du fait de la nécessité de compenser l’impôt non perçu sur les successions et sur les bénéfices immobiliers commerciaux des associations cultuelles, par l’imposition complémentaire de tous les Français ou de toutes les entreprises ;
    • Rupture du principe d’exercice de l’activité cultuelle par l’autorisation de se livrer à d’autres types d’activités, ouvrant la voie à des futurs élargissements dans d’autres domaines ;
    • Une telle mesure présente un grave danger d’affaiblissement du principe de séparation, voire d’évolution vers une situation concordataire. En effet, elle présente un risque important de voir évoluer rapidement le paysage cultuel français vers une situation « à l’américaine », dans laquelle les cultes évangélistes se multiplieront pour assurer l’enrichissement de leurs pasteurs par la constitution de fortunes immobilières. En parallèle, la « course au legs ou à la donation » pourrait gangréner les cultes traditionnels et donner lieu à de nombreux scandales. Enfin, cette mesure risque de permettre la reconstitution d’empires immobiliers qui donneraient à terme aux cultes les contrôlant une influence très importante tant sur l’économie du pays que sur les décisions des obligés que seraient leurs locataires.

    Pour tenter d’éviter de tels dangers, l’État se trouvera dans l’obligation de contrôler la réalité de l’objet cultuel d’une association exploitant des biens immobiliers et se déclarant « association cultuelle ». L’État devra donc alors définir ce qu’est et ce que n’est pas un culte et de ce fait, se pencher sur la recevabilité d’un dogme et s’engager sur la voie d’une labellisation des religions. C’en serait donc fini de la séparation.

    • Plus généralement, et au-delà de la générosité de la loi de 1905 limitée aux dons, il n’est pas du ressort de l’État de financer directement ou indirectement le fonctionnement d’une association, fût-elle cultuelle, en l’autorisant à pratiquer une activité commerciale non soumise à l’impôt. Enfin l’intérêt public, supérieur aux intérêts particuliers ou associatifs, aurait dû être préservé. À ce titre, l’exercice du droit de préemption de l’État et des collectivités sur les biens immobiliers ne devait pas être limité ou abrogé.
    • Enfin, cette mesure apparaît comme une « compensation » accordée par la République face au tarissement des financements étrangers recherché par la loi. Il aurait été de meilleure politique de traiter le problème à la racine en renforçant les contrôles sur ces sources de revenus des cultes, grâce à l’outil « Tracfin », quitte à accroître les moyens et les prérogatives de ce Service de renseignement, plutôt que de risquer de mettre gravement en danger l’équilibre de la Loi de Séparation.

    Trois impératifs complémentaires, pour l’application réelle de la loi

    • Il est essentiel que l’État se donne les moyens d’assurer la mise en œuvre de la loi. En effet depuis quelques décennies, les citoyens ont constaté que nombre de lois n’ont pas été appliquées ou qu’elles ne l’ont été que partiellement ou imparfaitement. Cette constatation a souvent donné le sentiment que les lois étaient adoptées plus par opportunisme politique que pour affirmer la règle commune. Or, cette loi loi est historique et ne peut subir telle déchéance. C’est pourquoi la question des moyens accordés pour sa mise en œuvre et pour les contrôles de son application est décisive.

    Les mécanismes mis en œuvre dans la « loi confortant le respect des principes de la République » ne trouveront leur pleine application que dans le respect de la loi de Séparation des Églises et de l’État.

    • La loi ne pourra être appliquée que si l’État et les collectivités locales cessent de subventionner directement les cultes, en contravention avec la loi de Séparation, au prétexte d’une activité culturelle dont chacun sait qu’elle recouvre des activités cultuelles. Les récents exemples du financement par la ville de Rennes de la rénovation d’un centre islamique et du financement par l’État et la Ville de Paris du Centre européen du judaïsme, démontrent que ces pratiques inacceptables sont de plus en plus courantes et distraient des investissements nécessaires au bien public des centaines de milliers, voire des millions d’euros.
    • De même, les discussions en cours et les solutions actuellement évoquées pour la création d’un « islam de France » et l’établissement d’une taxe halal, laissent craindre que cette nouvelle organisation donne au vainqueur des luttes intestines qui ont lieu entre les associations musulmanes, la main sur un réseau de propagande sur tout le territoire grâce au contrôle des mosquées et des centres cultuels/culturels, d’institutions reconnues par l’État permettant de diffuser son idéologie, de cadres et d’exécutants, d’école de formation des imams et d’école destinées à former des cadres politiques (voir le lycée Averroès). Qui contrôlera la création de l’islam de France pourra disposer d’un État dans l’État. On peut douter alors de la conformation d’une telle organisation à l’esprit et à la lettre de la Loi de Séparation et de la « Loi confortant le respect des principes de la République ».

    1 Ferdinand Buisson, in discours au congrès du Parti radical et radical-socialiste, 1903