Tu seras humaniste

François Rachline, Moïse et l’humanisme, Paris, Hermann, 2021. 150 pages. Prix 15 €

Se peut-il que la question du divin n’ait pas constitué l’essentiel du message biblique et que Moïse soit d’abord le fondateur d’une éthique libératrice, l’humanisme ? Tel est le propos du bref mais dense essai de François Rachline. Economiste, romancier, essayiste, ce dernier avait signé en 2018 Un monothéisme sans Dieu que cet opus vient prolonger de nouvelles interrogations.

En analysant avec minutie la bible hébraïque, l’auteur constate qu’il peut en être fait deux lectures différentes. « Le destin historique de la première a occulté la présence de la seconde. L’une débouche sur un monothéisme, l’autre sur un humanisme, qui n’est pas incompatible avec l’athéisme », explique ainsi François Rachline. Il est ici beaucoup question des Dix Commandements, dont l’auteur rappelle que les prescriptions, considérées comme quasiment évidentes pour nous aujourd’hui, heurtaient frontalement le sens commun lorsqu’ils ont été édictés. « Le Décalogue ne place-t-il pas chaque être humain face à lui-même, afin de permettre une vie sociale ? Ne pose-t-il pas les déterminants d’une affirmation individuelle par les actes ? », interroge-t-il, en formulant la proposition selon laquelle « le grand sujet biblique n’est pas Dieu mais l’Homme ». Dès lors, « la Torah ne tombe pas du ciel pour proposer une cité idéale ; elle s’insère dans le monde tel qu’il est pour le changer, pour le rendre humain, pour lui permettre de devenir vivable ».

François Rachline propose en conséquence de stimulantes variations autour de la voie humaniste ainsi offerte aux hommes, « une conception radicalement nouvelle, qui ne peut s’imposer que par le travail de l’être humain sur lui-même ». Chacun est appelé à « travailler à son adaptation spirituelle et morale, qui est une élévation, même si c’est d’une difficulté redoutable et que cela relève d’un vrai combat, d’abord et avant tout avec soi-même ». Poursuivant son exploration de la bible hébraïque, l’auteur ne retient pas que la traduction de kadosh corresponde à “saint”, mais bien plutôt à “différent” ou “autre”, si on veut éviter que la pensée soit « subordonnée à une approche théologique ». Devenir kadosh suppose dès lors « un appel à l’effort et exige un engagement constant », tel qu’il était exigé du peuple hébreu.

Défenseurs d’une éthique

L’injonction biblique, loin de conduire à la définition d’un “peuple élu”, dont François Rachline démontre ici que le terme ne figure nulle part sauf dans la tête des antisémites, doit être entendue de la façon suivante : « Vous ne serez pas comme les autres, non pas parce que vous êtes mieux qu’eux mais parce que vous aurez choisi de devenir les défenseurs d’une éthique (…). Si vous le respectez, vous vous distinguerez de tous les peuples que vous côtoyez ». Et c’est ainsi que, peu à peu, le respect des Dix Commandements s’est étendu à la plus grande partie de l’humanité et que la singularité originelle du peuple hébreu telle qu’elle découle de la lecture théologique s’est diluée dans un humanisme devenu très largement partagé et revendiqué.

L’humanisme, qui peut être aussi vu comme une recherche du bien, « relève d’une conquête, celle qui permet de l’emporter sur soi. Un travail incessant qui n’a pas de fin ». Le combat à mener se situe avec soi-même et non “contre” soi, indique François Rachline. Sa lecture de la Torah projette dans un monde « où l’homme fait écran à toute divinité. Non qu’il s’y substitue en prétendant devenir lui-même un dieu, mais il accepte le mystère de l’existence sans y chercher la marque d’une puissance extérieure ». En convoquant Erasme, Rabelais, Descartes, Kant, Darwin ou Freud, l’auteur consacre d’utiles éclairages à l’exploration d’une notion galvaudée, même si cet humanisme est concurrencé par « la possible déshumanisation de l’homme », seulement esquissée ici.

Enfin, François Rachline propose d’examiner l’identité encore une fois à l’aide du Décalogue, qui nous rappelle « que nous ne pouvons jamais nous arrêter à un “je suis”, et qu’en nous ne cesse de s’affirmer un “je deviens” ». En conquérant sa propre liberté, l’homme ne peut en effet figer celle-ci sans contredire le sens même de l’humanisme.

Philippe Foussier
2022

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