Vers une société communautariste et confessionnelle. Le cas Samuel Grzybowski, par Aline Girard. Paris, Editions Pont9, 2023, 119 p. 16,90€
Recension du livre par Philippe Foussier
Coexister, Convivencia, la Primaire populaire…
Coexister, Convivencia, la Primaire populaire… On pourrait en citer bien d’autres, de ces structures dirigées ou inspirées par Samuel Grzybowski. Secrétaire générale d’Unité laïque, Aline Girard signe là une enquête fouillée sur ce personnage aux facettes multiples qui fonda à 16 ans Coexister, une association qui a obtenu en quelques années une respectabilité et une notoriété saisissantes. L’auteur démontre clairement comment les ambitions idéologiques du jeune doctrinaire se sont toujours conjuguées avec un sens des intérêts impressionnant. Il s’est rapidement imposé au centre d’un réseau qui a ouvertement pour objectif de servir le soft power américain. Comme le note Jean-Pierre Sakoun dans la préface de ce petit livre aussi dense que documenté, « à travers think tanks, fondations philanthropiques, multinationales socialwashed et greenwashed, toute la politique des États-Unis concourt à fournir à la nébuleuse de l’interconvictionnel, du community organizing et du social business les moyens de son emprise progressive sur la société française ».
Coexister, que Samuel Grzybowski fonda en 2009, est probablement la structure la plus connue de ce réseau dans lequel l’intéressé joue un rôle majeur. Mouvement de jeunesse « interconvictionnel », l’association entend proposer « une nouvelle façon d’appréhender la diversité de religions et de convictions ». Elle ne met pas son drapeau dans sa poche et affiche sa défiance à l’égard d’une laïcité française décrite comme « laïciste », préférant de loin un modèle tel qu’il prévaut dans l’univers anglo-saxon, fondé sur la coexistence communautaire et confessionnelle. Regroupant des jeunes croyants de différentes confessions, Coexister entend démontrer que cette approche est adaptée aussi à la France, quand bien même une majorité de ses citoyens se déclare agnostique ou athée. Mais qu’importe, Samuel Grzybowski, à l’image de ces Young Leaders distingués en masse par les Etats-Unis pour constituer des relais de sa vision du monde de l’organisation des sociétés, sait que le multiculturalisme a le vent en poupe et il surfe ainsi sur une vague porteuse.
« Par le biais de ces ONG, lobbies, think tanks et organisations philanthropiques dotés de financements privés considérables et spécialisés dans l’ingénierie socio-politique, les Etats-Unis installent un nouvel ordre du monde en répandant leur modèle de société », explique Aline Girard. Il n’est pas anodin que cette entreprise idéologique se déploie tandis que l’islamisme avance parallèlement ses pions et se heurte, dans ses versions frériste ou salafiste notamment, à la laïcité française et au-delà à la notion de citoyenneté républicaine qui ne reconnait, à l’inverse des pays anglo-saxons, que des individus et non des groupes, qu’ils soient fondés sur l’ethnie ou sur la religion. Car les réseaux entretenus par Coexister et ses ramifications trouvent dans les ambitions de l’islamisme des relais efficaces, comme l’auteur le démontre avec précision. On n’est ainsi pas surpris de retrouver en 2015 l’incontournable Grzybowski signataire d’un appel deux jours après le massacre du Bataclan, côtoyant visiblement sans gêne aucune le rappeur Médine, celui-là même qui appelle à crucifier les « laïcards » et à l’application de la charia. Le CCIF, officine frériste dissoute depuis par décret, figure aussi dans cet aréopage de signataires.
Lexique clérical
Si on entend un peu moins Samuel Grzybowski depuis quelques mois, il était néanmoins apparu sur le devant de la scène politique en amont de la dernière élection présidentielle. Il fut en effet l’un des principaux initiateurs de la Primaire populaire, qui entendait désigner le candidat unique de la gauche à ce scrutin. On se souvient peut-être des conditions particulièrement fantaisistes dans lesquelles cette aventure s’était fait connaitre, écartant des candidats pourtant déclarés (Poutou, Roussel, Arthaud…), en retenant certains qui n’étaient pas candidats (Ruffin notamment) ou bien encore imposant leur présence à d’autres qui ne voulaient pas y participer (Mélenchon, Hidalgo, Jadot…).
Finalement, au terme d’une procédure particulièrement obscure, avec un mode de financement et des comptes qui laisseraient perplexe la moins sourcilleuse des associations anticorruption mais avec l’insolite caution de jadis honorables radicaux de gauche, ce fut Christiane Taubira qui fut désignée puis prestement lâchée en rase campagne par des soutiens qui, quelques semaines avant, semblaient l’entourer d’une intense ferveur avant que l’observation attentive des sondages ne leur fassent cesser leurs génuflexions. Comme l’avait d’ailleurs commenté le candidat EELV Yannick Jadot, cette Primaire populaire « était devenue un gag ». Assurément une pantalonnade dont ceux qui y apportèrent leur concours ne sortirent pas grandis et les électeurs sans doute encore un peu plus dégoûtés par cette manière de faire de la politique et plus encore de jouer avec la démocratie. Pressentant sans doute le crash, Samuel Grzybowski quitta courageusement l’entreprise avant la démonstration patente de son échec.
Quelle que soit la structure dans laquelle Samuel Grzybowski reviendra dans l’actualité, nul doute que l’ancrage idéologique auquel il a arrimé son action demeurera, prônant « le glissement progressif d’une éthique de la justice sociale à visée universaliste à une éthique de la sollicitude comme sensibilité et pratique morale ». On y retrouvera à coup sûr une logorrhée très identifiée : « Il excelle dans ce discours aux connotations religieuses qui, sans que l’on y prenne garde, insidieusement, cléricalise la langue depuis des décennies, installant un lexique de substitution qui envahit pensées et paroles : bien commun, bienveillance, sollicitude, humilité, respect mutuel, vulnérabilité, dévouement, tolérance, compassion, réparation, repentance, etc. Dans ce système sémantique, l’impératif du care n’est pas loin d’être l’équivalent de la vertu théologale de la charité ». Par la démonstration étayée que ce petit livre nous propose, Aline Girard nous permet d’identifier clairement les choix de société qui nous sont offerts : céder à cette offensive communautariste et néo-libérale ou lui préférer l’universalisme républicain.
Philippe Foussier, Juillet 2023
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Préface de l’ouvrage par Jean-Pierre Sakoun
Le court ouvrage d’Aline Girard, secrétaire générale d’Unité laïque, est percutant. Il n’est pas percutant comme un direct du droit ou comme un pamphlet destiné à emporter l’adhésion du lecteur par une rhétorique enflammée sans que, souvent, les arguments ne viennent soutenir la prise de position. Il est percutant comme un réquisitoire.
Aline Girard doit à sa formation et à ses années d’activité professionnelle dans les bibliothèques, et en particulier à la Bibliothèque nationale de France, sa capacité à étayer sa pensée avec une précision intraitable. L’un des premiers lecteurs de ce texte, et pas le moindre, l’ami Stéphane Rozès, a dit à l’auteur son étonnement, voire son effarement, devant la qualité, le nombre, la précision, l’exactitude des citations, des références et des sources. On a perdu aujourd’hui l’habitude de lire un travail aussi puissamment charpenté. C’est la première qualité de ce livre qui, plus qu’une personne, Samuel Grzybowski, met en accusation un système et peut-être même une génération de jeunes intellectuels perdus pour la République. Il en va de l’honneur et de l’éthique d’un auteur de ne pas accuser à la légère, comme d’un procureur de ne pas bafouer la dignité d’un prévenu. Cet ouvrage devrait être donné en exemple à tous les journalistes, à tous les investigateurs. Il leur apprendrait ce qu’est une enquête solide et inattaquable.
Mais il ne faut pas croire que ce travail est indigeste ou fastidieux. A la rigueur de sa méthode, l’auteur ajoute un vrai style, avec des bonheurs d’écriture et une élégance qui donnent souvent envie de noter dans un carnet certaines formules, certaines phrases, certains paragraphes éclairants et ciselés dont on sait que l’on aura l’occasion un jour ou l’autre de se resservir pour anéantir l’argumentation souvent indigente des rhétoriciens de la coexistence des religions et du communautarisme.
Car il faut en venir au fond. Et le fond, c’est le dévoilement des agissements et des menées coupables de tout un pan de la société politique et intellectuelle de notre pays, inféodée aux deux impérialismes religieux et marchand, pour reprendre l’heureuse expression de l’historienne Sophie Bessis, qui s’accordent comme larrons en foire pour liquider le citoyen républicain, laïque et universaliste au profit – c’est le cas de le dire – du consommateur soumis au marché et des talapoins.
Au détour des pages on voit se dessiner les différentes facettes du « modèle » Grzybowski. La foi avant la liberté, la foi avant l’égalité, la foi avant la fraternité, la foi avant la laïcité. La foi comme modèle de coexistence à opposer à la République et à sa devise. Ces entreprises, au sens le plus commerciales du terme, sont destinées à semer la confusion dans la société et en particulier chez les écoliers, les collégiens, les lycéens, les enseignants, bref, dans toute la communauté éducative, pour leur faire rejeter l’extraordinaire principe émancipateur de la citoyenneté laïque et républicaine.
Pour cela, Monsieur Grzybowski et ses amis, si nombreux, si bien élevés, si idéalistes, s’appuient sur toutes les ressources que peut leur fournir le soft power communautariste et bienpensant d’une Amérique convaincue de son destin messianique. A travers think tanks, fondations philanthropiques, multinationales socialwashed et greenwashed, toute la politique des États-Unis concourt à fournir à la nébuleuse de l’interconvictionnel, du community organizing et du social business les moyens de son emprise progressive sur la société française.
Dans ces réseaux où les mots ne recouvrent pas le sens que la plupart des Français leur donnent, dans un cocktail de George Orwell et d’Aldous Huxley, il s’agit sous les dehors d’une hyper-modernité rendue désirable, comme on rend désirable un paquet de lessive en tête de gondole d’un supermarché par un storytelling éprouvé et efficace, de « démoder » les Lumières, peintes sous de sombres couleurs et de rendre enviable l’obscurantisme. On ne peut lire ce petit livre sans penser à Rhinocéros d’Eugène Ionesco. La pression, le conformisme, l’inversion des valeurs peuvent un jour nous amener à croire – et le mot est bien choisi – que le lourd et laid quadrupède est plus beau, plus svelte, plus spirituel que Jacques le fataliste ou que Figaro. Voilà ce à quoi s’emploient les Grzybowski du temps, appuyés sur tous les usual suspects de la laïcité dévoyée, dont vous n’aurez, je pense, aucune difficulté à deviner les noms.
Mais Samuel Grzybowski et ses alliés sont surtout les révélateurs du danger qui guette notre pays, notre nation, notre peuple et son idéal indivisible, laïque, démocratique et social, son idéal républicain. Ils font apparaître nos faiblesses qui autorisent ses tristes jeunes gens à œuvrer pour détacher de la République les jeunes générations, pour leur offrir une image du monde purement idéologique et sans aucun rapport avec le réel.
Ces réseaux religieux et marchands travaillent au quotidien à séparer les citoyens de la République et à leur faire oublier la dignité du peuple politique. S’ils y parviennent, alors la grande aventure des Lumières s’achèvera et les citoyens ne seront plus que des gens, des individus, des consommateurs, des croyants. Ils ne comprendront plus du monde que ce qui leur en sera révélé. Voilà ce que donne à comprendre le livre d’Aline Girard, manuel de survie du peuple souverain au temps de la peste narcissique et bigote.
Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité laïque
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